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monde. Mais Maltravers ne voyait, ne sentait même rien ; la gelée de l’hiver n’engourdissait pas son sang brûlé par la fièvre. Son domestique, qui l’aimait, comme toutes les personnes qui avaient des relations fréquentes avec lui, allait et venait avec inquiétude dans la chambre, attisait le feu rebelle, étalait la chaude robe de chambre, plaçait du vin sur la table, faisait des questions qui restaient sans réponse, et des offres de service qui passaient inaperçues. Les petits rouages de la vie continuent à fonctionner, même quand le grand ressort est paralysé ou brisé. Maltravers était, si je puis me servir de cette expression, dans une espèce de léthargie mentale. Les émotions qu’il avait ressenties l’avaient laissé dans un état d’épuisement complet. Il éprouvait cette torpeur qui suit ou précède une grande douleur. Enfin il se trouva seul, et la solitude lui rendit, presque malgré lui, le sentiment de sa profonde angoisse. Car il est à observer que, lorsqu’on est frappé d’un malheur intime, la présence d’un être quelconque semble s’interposer entre le souvenir et le cœur. Éloignez l’importun, et le marteau suspendu retombe immédiatement sur l’enclume ! Il se leva au moment où la porte se refermait sur son domestique : il se leva en tressaillant, et il écarta brusquement son chapeau de ses sourcils contractés. Pendant quelques instants, il marcha en long et en large ; l’air de la chambre, tout glacial qu’il était, semblait le suffoquer.

Il y a des moments, quand la flèche frémit dans la blessure, où tout espace paraît trop étroit ; comme le cerf blessé on voudrait fuir, fuir toujours. On éprouve un vague désir de s’échapper, une envie presque insensée de sortir de soi : l’âme s’efforce de s’envoler sur les ailes du matin.

À la fin Maltravers ouvrit avec impatience sa fenêtre ; elle donnait sur un balcon saillant, d’où l’on embrassait la perspective étendue que présente le parc, à une certaine élévation. Il sortit sur le balcon, et découvrit sa poitrine au souffle glacé de l’air. L’herbe recouverte de givre, les branches spectrales des arbres semblables à des squelettes, s’étendaient sous un ciel gris et froid. Tous les objets du dehors rapprochaient de plus en plus son âme des pensées du tombeau, de l’anéantissement de l’être, de la destruction de la beauté. Dans l’étreinte palpable de l’hiver, la mort elle-même semblait l’enlacer de ses bras de squelette. Et, tandis que, las de lutter contre les émotions amères qui tordaient et lacéraient son cœur, il s’y abandonnait sans résistance, il n’entendit pas le