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Florence le regarda un instant, avec un sentiment de repentir amer, et presque de regret intéressé.

« Et c’est là l’homme, pensa-t-elle, qui me paraissait si insensible aux émotions douces ; c’est là le cœur que j’ai foulé sous mes pieds ; c’est là la nature dont je me défiais ! »

Elle s’approcha de lui à pas tremblants et faibles ; elle posa la main sur son épaule ; la tendresse de l’amour inondait son cœur, quand elle l’enlaça de ses bras.

« C’est notre destinée… c’est ma destinée, dit enfin Maltravers, d’une voix creuse, mais calme, comme s’il se réveillait après un rêve affreux ; nous sommes les jouets du destin et sa roue nous a écrasés. Cette vie humaine est un effrayant état d’existence ! À quoi servent la sagesse, la vertu, la loyauté envers les hommes, la piété envers le Ciel, la culture que nous donnons à notre esprit, notre désir d’atteindre à une sphère plus élevée, si nous devons être ainsi les jouets du moindre hasard, les victimes de la plus misérable infamie ; et si notre existence, nos sens même, peut-être, doivent être à la merci du premier traître ou du premier insensé venu ? »

Il y avait quelque chose dans la voix d’Ernest, aussi bien que dans ses réflexions, d’un calme et d’une profondeur tellement surnaturelles, que Florence en fut plus émue de frayeur qu’elle ne l’avait été de sa première véhémence. Il se leva et se mit à arpenter la chambre, en se parlant à voix basse, comme s’il eût ignoré la présence de Florence ; et en effet il l’avait oubliée. Tout à coup il s’arrêta, et fixant les yeux sur elle, il dit presque à voix basse, et avec un accent qui la fit frissonner :

« Maintenant, le nom du traître qui nous a perdus ?

— Non Ernest, non, jamais ! À moins que vous ne me juriez de renoncer au dessein que je lis dans vos yeux. Il a fait l’aveu de sa faute, il se repent, je lui ai pardonné ; vous ferez de même, n’est-ce pas ?

— Son nom ? répéta Maltravers, et sa figure qui jusque-là avait été colorée, devint d’une pâleur étrange.

— Vous lui pardonnez ? jurez-le moi !

— Son nom, vous dis-je, son nom ?

— Calmez-vous, vous m’épouvantez… Vous me tuerez ! balbutia Florence qui retomba épuisée sur le sofa. Ses nerfs, affaiblis par la maladie, étaient complétement ébranlés par l’ardeur d’Ernest ; elle se mit à pleurer, en se lamentant et en se tordant les mains.