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lontairement levée ; ils se tenaient debout, l’un vis-à-vis de l’autre, et la lampe éclairait en plein le visage de Florence. Oh ! ciel ! quand ce spectacle cessera-t-il de tourmenter le cœur de Maltravers ! quand cette figure flétrie ne se dressera-t-elle plus comme un spectre devant ses yeux ! La voilà toujours, fidèle et accusatrice, dans la solitude comme au milieu de la foule ; il la voit aux rayons du soleil du midi ; le soir, elle passe devant ses yeux, pâle et indistincte à la lueur des étoiles ; elle s’était réfléchie dans son cœur, et y avait laissé son image ineffaçable, pour toujours et toujours ! Ces joues, naguère si gracieusement arrondies, étaient maintenant creuses et tirées ; une teinte sombre et livide entourait ses yeux ; ses lèvres étaient blanches ; une expression âpre, inquiète, fatiguée avait remplacé ce regard clair et radieux, où rayonnait jadis toute la vitalité du génie, tout le charmant orgueil d’une femme belle et aimée, où se lisait clairement, non-seulement l’intelligence de l’âme, mais son éternité !

Maltravers restait là immobile, saisi d’épouvante et d’effroi. Enfin, un gémissement étouffé s’échappa de ses lèvres ; il s’élança vers Florence, se jeta à genoux à côté d’elle, et saisissant ses deux mains, il les couvrit, en sanglotant, de baisers. Tout l’airain de sa forte nature était brisé ; et ses émotions, si longtemps comprimées, mais devenues maintenant indisciplinables et irrésistibles, étaient terribles à voir !

« Ne pleurez pas… ne pleurez pas ainsi, murmura lady Florence, effrayée de cette véhémence ; je suis bien changée, mais la faute en est à moi, Ernest, à moi seule. Oh ! mon bien-aimé, si bon, si affectueux, si doux, comment ai-je pu être insensée à ce point ! Vous me pardonnez, n’est-ce pas ? Je suis, encore une fois, à vous… à vous pendant un peu de temps. Ah ! ne pleurez pas lorsque je suis si heureuse ! »

Tandis qu’elle parlait, ses larmes (ces larmes-là ne jaillissaient pas de la même source où les pleurs de Maltravers puisaient leur angoisse brûlante et intolérable) tombaient doucement sur la tête penchée de son amant, et sur les mains qui étreignaient convulsivement les siennes. Maltravers leva avec égarement les yeux vers elle, et il frémit en voyant l’effort qu’elle fit pour sourire. Il se leva précipitamment, se jeta sur une chaise, et se couvrit le visage de ses mains. Il cherchait, par un violent effort, à se maîtriser ; mais sa poitrine haletante, sa respiration entrecoupée, trahissaient la lutte orageuse qui se passait au dedans de lui.