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parlait des étoiles et de leur cours, des animaux, des oiseaux, des poissons, des plantes, des fleurs ; de toute la grande famille de la nature ; des bienfaits et de la puissance de Dieu ; de l’histoire mystique et spirituelle de l’homme.

Charmé de son attention et de sa docilité, Maltravers passa enfin de la science à la poésie. Il lui répétait des passages de ses poëtes favoris, les plus simples et les plus naturels dont il pût se souvenir. Il composait lui-même des vers soigneusement adaptés à l’intelligence de son élève. C’étaient ces derniers qu’elle aimait le mieux et qu’elle apprenait le plus facilement. Jamais jeune poëte ne fut plus gracieusement inspiré. Jamais ce monde sans harmonie ne se fondit plus complaisamment en rêves enchanteurs, comme pour flatter le noviciat de ceux qui devront un jour faire partie de son triste sacerdoce. Alice s’était tranquillement et insensiblement créé des occupations : elle s’était tracé son programme. Les plantes de la serre avaient été confiées à ses soins ; seule aussi, elle avait le privilége de toucher aux livres de Maltravers, et de ranger le désordre sacré qui règne dans une chambre d’étudiant. Quand il descendait le matin, ou qu’il rentrait de la promenade, il trouvait tout en ordre, et, par une espèce d’enchantement, dans l’ordre même qu’il désirait ; les fleurs qu’il préférait s’épanouissaient, fraîches cueillies, sur sa table ; la position même du grand fauteuil qui, placé au coin du feu, semblait lui tendre les bras comme pour lui souhaiter la plus cordiale bienvenue lorsqu’il entrait dans sa chambre, tout annonçait que le génie d’une femme avait passé par là. Puis, à huit heures sonnantes, Alice entrait, si jolie, si souriante, avec un air si heureux, qu’on ne doit pas s’étonner de ce que l’heure, qui lui était d’abord consacrée, s’étendit plus tard jusqu’à trois.

Était-ce de l’amour qu’Alice éprouvait pour Maltravers ? En tous cas, les symptômes de l’amour ne se révélaient pas chez elle de la façon ordinaire ; elle ne devenait ni plus réservée, ni plus agitée, ni plus timide ; aucun ver ne rongeait secrètement l’éclat de ses joues ; et même, bien qu’elle eût eu suffisamment d’assurance dès le premier moment, elle devenait plus libre, plus communicative, plus à son aise tous les jours. La vérité, c’est qu’elle ne s’était jamais doutée un seul instant qu’elle dût être autrement ; elle n’avait pas cette délicatesse conventionnelle et sensitive des jeunes filles, qui ont appris, quel que soit leur rang social, qu’il y a un mystère et un danger dans l’amour. Elle avait bien quelque vague idée que cer-