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moment de fier et pur ravissement. Ernest Maltravers, le héros de mes rêves, m’apparaissait noble et grand comme autre fois : un être qu’il n’était pas indigne de moi d’aimer, de regretter, pour lequel je pouvais mourir sans honte. On m’avait montré une lettre écrite par vous, mais dénaturée, falsifiée à ce qu’il paraît ; hélas ! je ne m’aperçus point de l’imposture. C’était vous, vous seul, dont on avait fait un faux témoin, un terrible accusateur contre vous-même ! Pouviez-vous penser que tout autre témoignage, que les paroles, les serments des autres, eussent pu vous accuser à mes yeux ? Ah ! vous m’avez mal jugée ; mais je le méritais. J’avais juré de garder le secret ; le sceau n’est brisé sur mes lèvres, que pour être placé sur ma tombe. Ernest, mon bien-aimé Ernest, aimé jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’au dernier battement de mon cœur !… Écrivez-moi un mot de consolation et de pardon. Vous croirez, je le sais, ce que je vous écris en termes bien imparfaits ; car vous, vous avez toujours eu confiance dans ma loyauté ; même quand vous avez blâmé mes torts. Maintenant je suis comparativement heureuse ; un mot de vous me transporterait au comble du bonheur. Le sort a été probablement plus miséricordieux envers nous deux, que nous ne pouvons le croire, avec l’aveuglement et les regrets de notre pauvre nature humaine. Car maintenant que ma force est abattue, et que dans la solitude de ma chambre je puis humblement conférer avec mon cœur, je vois le véritable aspect de ces fautes, que je prenais autrefois pour des vertus ; et je sens que si nous avions été unis, moi, tout en vous aimant toujours, je ne vous aurais peut-être pas rendu heureux, et qu’alors j’aurais connu la douleur de perdre votre amour. Puisse celui qui vous réserve à une destinée glorieuse encore inachevée, vous soutenir lorsque mes yeux ne pourront plus briller de la joie de vos triomphes, ni pleurer de vos moindres afflictions ! Vous allez poursuivre votre large et splendide carrière. Quelques années encore et mon souvenir ne vous aura laissé que l’impression d’un rêve. Mais… mais… je ne puis en écrire davantage. Que Dieu vous bénisse ! Adieu ! »