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à demi éteintes du monde antique. Il compara les stoïciens aux épicuriens, qui avaient prêté une acception de leur choix à la simple et frugale doctrine d’utilité de leur maître. Il se de manda lequel était le plus sage : aiguiser la douleur ou engourdir le plaisir ; tout souffrir ou jouir de tout. Par une réaction naturelle et fréquente dans la vie, cet homme jusque-là si convaincu, si actif d’esprit, si résolu aux grandes choses, commença à soupirer après les plaisirs nonchalants de l’indolence. Le Jardin d’Académus lui devint plus attrayant que le Portique. Il médita sérieusement cette antique alternative du demi-dieu grec. Il se demanda s’il ne serait pas plus sage de renoncer aux graves objets auxquels il s’était jusque-là consacré, de détrôner le sévère mais auguste idéal de son cœur, de cultiver les amours légères et les passe-temps voluptueux de la multitude et de planter de myrtes et de roses le court intervalle de jeunesse qu’il lui restait encore à parcourir. Comme l’onde qui roule sur l’onde, les systèmes chassaient les systèmes dans son esprit, balayant toutes les impressions passagères, et laissant la surface propre également à recevoir et à oublier. Tel est l’état ordinaire des hommes d’imagination, dans ces crises de la vie où quelque grande révolution de projets et d’espérances vient bouleverser des éléments trop sensibles à tous les changements du vent. C’est ainsi que les faibles sont anéantis ; tandis que les forts, après quelques convulsions terribles mais inconnues, retombent dans cette harmonie et cet ordre solennels que Dieu et le destin font concourir au service de l’humanité.

Maltravers fut tiré de cette lutte incertaine entre des principes contraires par la lettre suivante de Florence Lascelles :

« Pendant trois jours et trois nuits d’insomnie, je me suis demandé si je devais ou non vous écrire. Ernest ! si j’étais comme jadis, au comble de la santé et de l’orgueil, je pourrais craindre que, malgré votre générosité, vous ne méconnussiez ma prière ; mais maintenant cela n’est pas possible. Notre union n’aura jamais lieu ; et toutes mes espérances se bornent à un seul espoir doux et triste : que vous écarterez de mes derniers moments l’ombre froide et sombre de votre ressentiment. Tous deux nous avons été cruellement trompés et trahis. J’ai découvert, il y a trois jours, la perfidie dont nous avions été victimes. Et alors, oh ! alors ! au milieu de toute la faible angoisse humaine que je ressentis de l’avoir découverte trop tard (votre malédiction s’est accomplie, Ernest !) j’ai éprouvé du moins un