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pourrait vous paraître injuste de ma part. Et vous, mon enfant, je vous assure ce rang et ces honneurs que j’ai eu tant de peine à atteindre, et dont il m’est défendu de jouir. Soyez bon pour elle, Lumley…, vous avez un cœur généreux et loyal ; qu’elle puisse y trouver un abri… On ne lui a jamais adressé une parole dure. Que Dieu vous bénisse tous, et qu’il me pardonne… priez pour moi. Lumley, demain vous serez lord Vargrave, et vous, plus tard (ici un sourire funèbre mais triomphant passa sur son visage), plus tard vous serez milady… lady Vargrave. Lady… oui… oui… lady Var… »

Les paroles s’éteignirent sur ses lèvres tremblantes ; il se retourna, et bien qu’il continuât à respirer pendant plus d’une heure, lord Vargrave n’articula pas une syllabe de plus.


CHAPITRE III.

La crainte et l’espérance se dressent épouvantées, et se penchent par-dessus la rive étroite de la vie, pour regarder… quoi ? un abîme sans fond.
(Young.)
Adieu, mépris, fierté de jeune fille, adieu !
(Shakspeare. Beaucoup de bruit à propos de rien.)

La blessure qu’avait reçue Maltravers était grave et douloureuse à un très-haut degré. Il est vrai qu’il n’avait jamais été ce qui s’appelle éperdument amoureux de Florence Lascelles. Mais, dès le moment où le hasard et les circonstances l’avaient revêtu du rôle de soupirant accepté, il était conforme à son caractère loyal et scrupuleux de ne voir que le beau côté des facultés et des qualités de Florence, et de chercher à éprendre son imagination reconnaissante de la beauté du génie, de la tendresse de sa future épouse. Il avait ainsi forcé et accoutumé ses pensées et ses espérances à se concentrer sur un seul objet ; Florence et l’avenir étaient devenus des mots indissolubles, qui n’avaient qu’un seul et même sens pour son esprit. Peut-être les accusations inattendues et écrasantes dont elle l’avait accablé, exprimées d’ailleurs en termes si peu mérités, l’avaient-elles blessé plus amèrement, parce qu’elles tombaient plutôt sur son orgueil que sur son affection, et qu’elles