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Les médecins se regardèrent.

« Milord, dit l’un d’eux, peut-être cet entretien avec votre neveu soulagera-t-il et calmera-t-il votre esprit. Vous pourrez après dormir plus facilement.

— Seulement, prenez ce cordial, » dit l’autre docteur.

Le malade obéit. Un des médecins s’approcha de Lumley et le tira à l’écart.

« Enverrons-nous chercher le notaire de milord ? lui dit-il tout bas.

— C’est moi qui suis son héritier légitime, pensa Lumley. Mais… non, mon cher monsieur, dit-il ; non, je ne pense pas que cela soit nécessaire, à moins qu’il n’en exprime le désir ; sans aucun doute mon pauvre oncle a déjà réglé toutes ses affaires. Que pensez-vous de son état ? »

Le docteur hocha la tête.

« Je voudrais vous parler, monsieur, aussitôt que vous aurez quitté lord Vagrave.

— Que faites-vous donc-là ? s’écria le patient d’une voix aigre et chagrine. Quittez tous la chambre ; je voudrais être seul avec mon neveu. »

Les médecins se retirèrent ; les vieilles femmes le suivirent à regret ; en ce moment la petite Eveline se montra soudain, et s’élança sur le sein du mourant, en sanglotant comme si son cœur allait se briser.

« Ma pauvre enfant ! ma chère enfant ! ma bien-aimée chérie ! dit lord Vargrave d’une voix entrecoupée, et il enlaça l’enfant de ses faibles bras ; que Dieu vous bénisse ! que Dieu vous bénisse ! Et, assurément, il vous bénira ! Ma femme, ajouta-t-il avec beaucoup plus de tendresse que Lumley n’en avait jamais remarqué dans son accent, lorsqu’il parlait à lady Vargrave, ma femme, si les paroles que je prononce en ce moment doivent être les dernières que je vous adresse, puissent-elles du moins vous exprimer toute la reconnaissance que j’éprouve vis-à-vis de vous, pour des devoirs que nul n’aurait pu remplir plus religieusement. Vous ne m’aimiez pas, c’est vrai ; et, au comble de la santé et de l’orgueil, cette conviction m’a souvent rendu injuste à votre égard. Je fus sévère ; vous avez eu beaucoup à supporter : pardonnez-moi !

— Oh ! ne parlez pas ainsi ; vous avez été plus noble, plus généreux pour moi que je ne le méritais. Que ne vous dois-je pas ? Combien j’ai peu fait pour vous en récompenser ?