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travers saisit l’occasion de corriger avec douceur les fautes fréquentes de grammaire et d’accent que commettait la pauvre Alice, dont la mémoire retenait tout avec une prodigieuse facilité. Il semblait même à Maltravers que les intonations de sa voix fussent changées. Et peu à peu il finit par oublier la différence de rang qui existait entre eux.

La vieille servante, qui, dès le commencement, avait deviné ce qu’il en serait, et qui s’enorgueillissait de ses prévisions lorsqu’elle commanda les robes d’Alice, en savait plus long en philosophie que Maltravers, quoiqu’il fût abîmé jusqu’aux oreilles dans les doctrines vaporeuses de Platon, et que déjà il eût écrit une douzaine d’essais de criticisme, fort beaux vraiment, sur Kant.


CHAPITRE VI.

Jeune homme, je crains que ton sang ne soit plus rose que rouge ; ton cœur est bien tendre.
(D’Aguilar. Siesco, acte III, scène i.)

Comme la lecture et l’écriture ne constituent pas seules une éducation, Alice, quoiqu’elle fût encore peu avancée dans ces arts élémentaires, en avait devancé les résultats les plus importants, sans y penser, dans ses entretiens avec Maltravers. Avant que l’inoculation pût s’opérer, elle prit du savoir tout naturellement. Car l’élégance d’un esprit gracieux et le charme des manières sont choses fort contagieuses. La facilité avec laquelle son élève apprenait la musique, encouragea Maltravers à tenter, dans les autres études, l’enseignement par la conversation. C’est une meilleure école que ne le pensent les parents et les professeurs. Il fut un temps où tout l’enseignement se faisait oralement, et probablement les Athéniens en apprenaient plus long à écouter Aristote, que nous à le lire. Notre jeune couple faisait délicieusement revivre Acadème, ce philosophe romanesque, et sa belle disciple, dans les allées ou sous les portiques champêtres de leur petit cottage ! La parole de Maltravers ressemblait à celle d’un sage des premiers âges du monde, ayant pour auditeur quelque sauvage attentif. Il lui