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— Si vous pouvez me toucher la main, Lumley, vous n’êtes point coupable et j’ai été injuste à votre égard. »

Lumley sourit, et serra cordialement la main de son ancien ami.

Il descendit l’escalier ; Maltravers le suivit, et au moment où Lumley tournait le coin de Curzon-Street, une voiture passa rapidement à côté de lui, et à la lueur des réverbères il aperçut le pâle et sévère visage de Maltravers.

Il tombait une petite pluie fine et serrée ; c’était une de ces soirées malsaines, fréquentes à Londres vers la fin de l’automne ; Ferrers néanmoins, insensible au mauvais temps, s’acheminait lentement, l’air pensif, vers la demeure de sa cousine. Il jouait gros jeu, et jusqu’alors la fortune lui avait été favorable ; pourtant il se sentait troublé, mal à l’aise ; la légèreté, qui faisait le fond de son caractère mettait sa conscience à l’abri de tout remords, et (une fois Maltravers éloigné) il se fiait à la connaissance du cœur humain, et à la perfidie insinuante de ses manières éprouvées pour conquérir enfin, avec la main de lady Florence, l’objet de son ambition. Il n’attendait rien de l’affection de sa cousine ; mais il attendait tout de son dépit et de son ressentiment.

« Quand une femme se croit dédaignée par l’homme qu’elle aime, le premier qui se présente doit être un soupirant bien maladroit s’il ne la subjugue pas. »

Ainsi raisonnait Ferrers, et pourtant il était inquiet, troublé. Il faut tout dire : quoiqu’il fût habile, intrépide, entreprenant et orgueilleux, son esprit tremblait devant celui de Maltravers. Il craignait d’exaspérer ce lion. Il avait dans le caractère quelque chose de celui de la femme, mais d’une femme ambitieuse habile, astucieuse, sans principes ; et dans le caractère de Maltravers, austère, simple et mâle, il reconnaissait la dignité supérieure des maîtres de la création. L’appréhension d’une colère et d’une vengeance bien méritées, qui pourraient, il le craignait, devenir mortelles, le remplissait d’épouvante.

Néanmoins son esprit recouvrait par degrés son élasticité habituelle à mesure qu’il se rapprochait de la maison de lord Saxingham. Soudain, au détour d’une rue, quelqu’un lui saisit le bras ; à son étonnement indicible dans la personne qui l’accostait ainsi, il reconnut, malgré les voiles dont elle était enveloppée, lady Florence Lascelles.

« Grands dieux ! s’écria-t-il, est-ce possible ? Vous, seule