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— Bah ! que lui enseignez-vous encore ?

— Que le Diable enlève toujours les mauvaises filles, et…

— Arrêtez monsieur Simcox. Ne vous occupez pas du Diable pour le moment. Qu’elle apprenne d’abord à être bonne afin de se faire aimer de Dieu. Le reste viendra plus tard. J’aimerais mieux que les gens devinssent religieux par le bon côté de leurs sentiments, que par le mauvais ; que ce fût plutôt un effet de la reconnaissance et de l’affection que le fruit de la crainte du châtiment et du calcul des risques à courir. »

M. Simcox le regarda tout ébahi.

« Connaît-elle ses prières ?

— Je lui en ai enseigné une courte.

— L’a-t-elle apprise volontiers ?

— Oh ! mon Dieu ! je crois bien. Quand je lui eus dit qu’elle devrait prier Dieu de bénir son bienfaiteur, elle n’eut pas de repos que je ne lui eusse répété une prière tirée d’un livre de notre école du dimanche ; elle l’apprit par cœur sur-le-champ.

— Cela suffit, monsieur Simcox. Je ne vous retiendrai pas davantage. »

Oubliant qu’il n’avait pas déjeuné, Maltravers continua de fumer et de réfléchir. Il ne s’arrêta que lorsqu’il se fut bien convaincu lui-même qu’il était de son devoir, vis-à-vis d’Alice, de lui enseigner à cultiver le charmant talent qu’elle possédait évidemment, et qui pouvait lui assurer, plus tard, des moyens d’existence. Il s’imaginait se dégager ainsi d’une responsabilité qui l’embarrassait souvent. Alice pourrait le quitter ; elle serait en état de se frayer une route dans le monde, par l’exercice d’une profession honnête. C’était une excellente idée. « Mais il y a du danger, » disait tout bas sa conscience. « C’est vrai, » répondaient la philosophie et l’orgueil, ces sages dupes, qui parlent toujours avec un accent si solennel, et qui pourtant se laissent prendre si facilement ; « mais qu’est-ce que la vertu sans l’épreuve ? »

Et désormais, tous les soirs, quand les fenêtres étaient closes et que le feu pétillait, tandis que le vent soufflait et que la pluie tombait au dehors, une créature légère et charmante folâtrait dans la chambre de l’étudiant ; et ses fantastiques mélodies étaient chantées par une voix que la nature avait faite plus harmonieuse encore que la sienne.

Les dispositions d’Alice pour la musique étaient vraiment extraordinaires. Enthousiaste et prompt comme il l’était dans tout ce qu’il entreprenait, Maltravers était pourtant lui-même