Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fière de sa victoire. Cette lettre ferait sourire Florence, et elle se dirait : « Ah ! il me juge bien autrement, à présent. »

— Avez-vous juré de me rendre fou ? Que signifie tout ceci ? Ne m’avez-vous pas dit tout à l’heure que, si elle voyait cette lettre, elle n’épouserait jamais celui qui l’a écrite ?

— Oui, oui ; mais il y a des changements à y faire. Il faut que nous en effacions la date, et que nous la dations d’aujourd’hui ; aujourd’hui… Maltravers revient aujourd’hui. Il faut que nous supposions qu’elle a été écrite, non en réponse à une lettre où vous lui demandiez son avis sur votre mariage avec lady Florence, mais en réponse à une lettre où vous le félicitiez de son prochain mariage avec ma cousine. Grâce à une substitution de pronoms dans deux endroits seulement, la lettre se lit aussi bien d’une façon que de l’autre. Relisez-la, et voyez vous-même ; ou plutôt, attendez ; je vais vous en faire la lecture. »

Ici Ferrers lut la lettre, qui, par suite de la légère substitution dont il parlait, avait, en effet, le caractère qu’il désirait lui donner.

« La lumière commence-t-elle à se faire dans votre esprit ? dit Ferrers. Vous sentez-vous capable de vous charger d’un rôle qui exigera de l’habileté, de la souplesse, de la délicatesse et surtout du sang-froid ? Ce sont là des qualités qui sont les attributs ordinaires de vos compatriotes.

— Je ferai tout ce qu’il faudra, soyez sans crainte. Que ce soit une lâcheté, une infamie ; peu m’importe. Je ne veux pas être dominé, éclipsé par Maltravers en toutes choses.

— Où demeurez-vous ?

— Pourquoi ? Je demeure dans les faubourgs de la ville.

— Venez loger chez moi pendant quelques jours. Je ne veux pas vous perdre de vue. Envoyez chercher vos effets ; j’ai une chambre à votre service. »

Cesarini refusa d’abord ; mais quand un homme s’est décidé à commettre un crime, la solitude lui fait peur, et il sent la nécessité d’avoir quelqu’un à qui parler. Il alla lui-même chercher ses bagages, et promit de revenir dîner.

« Je dois avouer, se dit Lumley en se rasseyant devant son pupitre, que c’est bien la plus vilaine affaire dont je me sois jamais sali les mains ; mais une fin aussi belle justifie des moyens indignes. En définitive, ce ne sont là que les préjugés de mon éducation de gentilhomme. »

En quelques secondes, avec le secours du canif pour gratter