Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’autre ; et enfin je me suis hasardée à la chanter tout haut. J’aime bien mieux cela que d’apprendre à lire. »

Maltravers était enchanté de tout ceci ; la jeune fille avait touché une de ses cordes sensibles. Néanmoins il garda le silence. Alice continua :

« Et maintenant, monsieur, j’espère que vous voudrez bien me permettre de venir m’asseoir à la porte tous les soirs, pour vous entendre ; je ne ferai pas de bruit ; je me tiendrai si tranquille !

— Quoi ! dans ce corridor glacé, par le froid qu’il fait ?

— Je suis accoutumée au froid, monsieur. Mon père ne me permettait pas d’allumer du feu quand il n’y était pas.

— Non, Alice, vous viendrez dans la chambre où je fais de la musique, et je vous donnerai quelques leçons. Je suis bien aise que vous ayez l’oreille musicale ; ce sera un moyen de gagner honnêtement votre vie, quand vous me quitterez.

— Quand je… mais je ne compte pas vous quitter jamais, monsieur ! » dit Alice, qui commença avec effroi et finit avec calme.

Maltravers eut recours à son meerschaum.

En ce moment, par bonheur peut-être, M. Simcox, le vieux maître d’écriture, les accosta. Alice rentra pour préparer ses cahiers ; Maltravers posa la main sur l’épaule du précepteur.

« Votre élève est intelligente, monsieur, j’espère ?

— Très-intelligente, monsieur Butler, très-intelligente. Elle fait de grands progrès. Elle étudie beaucoup en mon absence, et je fais de mon mieux.

— Et avez-vous réussi, demanda Maltravers d’un ton grave, à faire pénétrer dans l’esprit de la pauvre enfant quelques-unes de ces idées religieuses dont je vous ai parlé la première fois que nous nous sommes rencontrés ?

— En effet, monsieur, c’était tout à fait une païenne, tout à fait une mahométane, on peut le dire ; mais il y a maintenant quelques progrès.

— Que lui avez-vous enseigné ?

— Que c’est Dieu qui l’a créée.

— C’est déjà un grand pas de fait.

— Qu’il aime les jeunes filles sages, et qu’il veille sur elles.

— Bravo ! mais vous auriez battu Platon !

— Non, monsieur, je ne bats jamais personne, excepté le petit Jack Turner ; mais aussi, c’est qu’il est si bête !