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Mais les quelques mots qu’il lui adressait ne manquaient jamais de laisser dans son esprit une irritation inquiète et jalouse, à laquelle elle cédait avec une facilité maladive. Pour bien comprendre Florence Lascelles, il faut se rappeler que, malgré toutes ses brillantes qualités, elle n’avait pas ce qu’on appelle un caractère aimable. Une certaine sécheresse de naturel l’avait empêchée, même enfant, de s’attacher le cœur des personnes qui l’environnaient. Privée des soins d’une mère, n’ayant que peu ou point de relations avec d’autres enfants de son âge, élevée entre une institutrice très-roide et des parentes pauvres et fières, elle n’avait pas contracté cette douceur de manières, que produit ordinairement l’échange réciproque des affections du foyer. Avec l’orgueilleuse assurance de ses moyens, de sa naissance, de sa position, avantages dont on l’entretenait sans cesse, elle avait grandi solitaire, insociable et impérieuse. Son père trouvait en elle un sujet d’orgueil plutôt que d’affection ; ses domestiques ne l’aimaient pas ; elle avait trop peu d’égards pour les autres, trop peu d’affabilité et de douceur pour se faire chérir de ses inférieurs ; elle était trop savante et trop sérieuse pour trouver du plaisir à la conversation des jeunes filles de son âge : elle n’avait donc pas d’amis. Or, comme elle avait réellement un cœur très-affectueux, elle sentait le vide qui l’environnait, mais elle en éprouvait plus de ressentiment que de douleur ; elle avait soif d’affection, et cependant elle ne cherchait pas à en inspirer. Il lui semblait que c’était son destin de n’être pas aimée, et c’était le destin qu’elle en accusait, au lieu de s’accuser elle-même.

Quand, dans toute la sincérité fière, pure et généreuse de sa nature, elle fit à Ernest l’aveu de son amour, elle s’attendait naturellement à une réciprocité ardente et passionnée ; elle ne pouvait se contenter de moins. Mais l’habitude et l’expérience de son passé la confirmaient dans l’éternel soupçon de n’être pas aimée. La pensée que Maltravers eût jamais pu considérer ses avantages de fortune autrement que comme des obstacles à ses prétentions, et des entraves à sa passion, empoisonnait son existence. Peu lui importait que ce fût la plus vile cupidité ou la plus noble ambition qui eût animé son amant, si son cœur avait été mû par un autre sentiment que l’amour. Ferrers, qui connaissait à fond tous les travers de Florence, savait comment s’y prendre pour que les éloges qu’il faisait d’Ernest éveillassent contre celui-ci toutes les