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tous les hommages, et j’entrevoyais le vil intérêt caché au fond de tous les cœurs, qui s’offraient à moi. Mais vous, Ernest, je sens que vous n’auriez jamais pu mettre mon or dans la balance et que si vous m’aimez, vous m’aimez pour moi-même.

— Et chaque jour je t’aimerai davantage !

— Je n’en sais trop rien : je crains que vous ne m’aimiez moins quand vous me connaîtrez mieux. J’ai peur que vous ne me trouviez exigeante ; je suis jalouse déjà. J’étais même jalouse de lady T… lorsque je vous vis à côté d’elle, ce matin. Je voudrais posséder toute seule chacun de vos regards, chacune de vos paroles. »

Cet aveu ne fit pas autant de plaisir à Maltravers, qu’il aurait pu lui en faire, s’il eût été plus amoureux. La jalousie chez une femme d’une nature aussi ardente et aussi impérieuse était en effet une passion redoutable.

« Ne parlez pas ainsi, chère Florence, dit-il avec un sourire très-sérieux ; car la confiance implicite est à la fois le lien et la nature même de l’amour ; tandis que la jalousie, c’est le doute, et le doute c’est la mort de l’amour. »

Une ombre passa sur le visage trop expressif de Florence, et elle poussa un profond soupir.

En ce moment Maltravers leva les yeux, et vit Lumley Ferrers, qui venait de l’autre côté de la terrasse et qui se dirigeait vers eux ; au même instant un sombre nuage se déroula sur le ciel ; les eaux de la rivière semblèrent s’assombrir et la brise s’arrêta. Un froid et étrange pressentiment de malheur fit tressaillir le cœur d’Ernest ; comme bien d’autres son imagination le rendait, à son insu, superstitieux à l’endroit des pressentiments.

« Nous ne sommes plus seuls, dit-il, en se levant. Votre cousin a sans doute appris votre prochain mariage, et il vient féliciter votre futur.

— Dites-moi, continua-t-il d’un ton rêveur, pendant qu’ils s’acheminaient ensemble au-devant de Ferrers, avez-vous une opinion très-favorable de Lumley ? Que pensez-vous de lui ? J’avoue moi, que j’ai de la peine à le comprendre. Quelquefois je me figure qu’il a changé, depuis que nous nous sommes quittés en Italie ; d’autres fois j’imagine qu’il n’a pas changé, qu’il a seulement mûri.

— Je connais Lumley depuis mon enfance, répondit Florence, et je vois en lui beaucoup de choses que j’admire et que j’aime. J’admire son intrépidité, sa franchise, son mépris des petitesses et des mensonges du monde. J’aime sa bonne humeur, sa gaieté,