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immense et mystérieux. Elle chercha à connaître ses occupations, sa vie ; elle crut trouver de la symétrie, de l’harmonie entre l’être réel et le souffle de son génie ; elle crut comprendre ce qui semblait obscur aux autres. L’homme qu’elle n’avait jamais vu devint pour elle un ami toujours présent. Son ambition, sa réputation lui semblèrent être quelque chose qui lui appartenait. En sorte que, dans la démence de son jeune enthousiasme, elle finit par lui écrire, et sans songer qu’on pût découvrir son secret, sans en calculer les suites, la jouissance à laquelle elle s’était livrée une fois devint une habitude nécessaire, comme la publicité devient un besoin pour un auteur, étouffé par la surabondance de ses pensées. Un jour enfin elle le vit, et ses illusions ne furent pas détruites. Peut-être, si elle l’eût trouvé tout prêt à brûler de l’encens à ses pieds, eût-elle secoué cet enchantement. Le mélange de réserve et de franchise, franchise de paroles et réserve de manières, qui distinguait Maltravers, la piqua. Elle trouva dans sa propre vanité un nouvel auxiliaire à son imagination. Enfin ils se rencontrèrent chez Cleveland, leurs relations devinrent plus intimes, leur amitié fut établie, et elle découvrit qu’elle avait volontairement compromis son bonheur en s’abandonnant à ses rêves ; pourtant elle croyait, même alors, que Maltravers l’aimait, en dépit de son silence sur la question d’amour. Ses manières, sa voix, décelaient de l’intérêt pour elle ; mais sa voix était toujours douce lorsqu’il parlait aux femmes ; car il avait pour leur sexe beaucoup du respect et de la tendresse de l’ancienne chevalerie. Cette disposition générale chez lui, il était naturel qu’elle l’interprétât comme un hommage personnel, elle qui n’avait traversé le monde que pour séduire et vaincre. Il lui semblait probable que sa grande fortune et sa position sociale imposaient une entrave à la fierté délicate de Maltravers. Elle l’espérait, elle le croyait ; pourtant elle sentait son danger, et sa fierté finit par s’en effrayer. Dans un moment pareil, elle avait repris son rôle de correspondante inconnue ; elle avait écrit à Maltravers ; elle lui avait adressé cette dernière lettre chez lui, et elle avait l’intention d’aller le lendemain à Londres, la jeter à la poste. Dans cette lettre, elle lui avait parlé de son séjour chez Cleveland, de sa position vis-à-vis d’elle. Elle l’exhortait, s’il l’aimait, à se déclarer, ou sinon, à la fuir. Elle avait écrit avec art et avec éloquence ; elle avait hâte de connaître son sort. Puis, cachant cette lettre dans son sein, elle avait rencontré Maltravers ; le lecteur sait