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quelquefois gêné. À qui une fille donnerait-elle son superflu, si ce n’est à son père ? De qui un père recevrait-il, si ce n’est de sa fille, sa fille qui ne pourra jamais assez reconnaître son affection ? Ah ! tout cela n’est rien ; mais vous, vous qui ne lui avez jamais refusé le moindre de ses caprices, vous ne voudrez pas détruire toutes les espérances de bonheur de votre Florence à jamais. »

Florence pleurait ; et lord Saxingham, qui était fort ému, laissa échapper quelques larmes aussi. Dire que le côté pécuniaire de l’arrangement qui lui était proposé le subjugua entièrement, ce serait peut-être aller trop loin ; néanmoins, la manière dont la chose lui était présentée attendrit son cœur. Il pensa peut-être qu’il valait mieux avoir une fille bonne et reconnaissante, qui fût la femme d’un gentilhomme de province, qu’une fille maussade et ingrate qui deviendrait duchesse. Quoi qu’il en soit, il est certain que, avant de commencer sa toilette, lord Saxingham promit de ne point mettre d’entraves au mariage de sa fille ; tout ce qu’il demanda en échange, ce fut qu’un intervalle de trois mois (espace de temps qu’exigeraient du reste les hommes d’affaires) s’écoulât avant qu’il fût célébré. Lorsque ceci fut bien convenu, Florence le quitta rayonnante et joyeuse, comme Flore elle-même, lorsque le soleil du printemps fait de la terre un jardin. Sa beauté ne l’avait jamais préoccupée si peu, et pourtant n’avait jamais paru si radieuse que ce bienheureux soir-là. Mais Maltravers était pâle et rêveur, et Florence chercha en vain à rencontrer son regard pendant le dîner, qui lui parut d’une longueur intolérable. Après, néanmoins, ils se rapprochèrent, et causèrent à l’écart pendant tout le restant de la soirée ; et la beauté de Florence commença à produire son effet naturel sur le cœur d’Ernest ; enfin ce soir-là… ah ! comme Florence garda précieusement le souvenir de chaque heure, de chaque minute qui s’écoulèrent !

Il eût été amusant d’assister au court entretien qui eut lieu entre lord Saxingham et Maltravers, lorsque ce dernier alla trouver le soir le comte dans sa chambre. Au grand étonnement de lord Saxingham, Maltravers ne fit aucune allusion à l’énormité de ses prétentions en aspirant à la main de lady Florence. Il fit la demande froidement, sèchement, presque avec hauteur « comme si (dit plus tard lord Saxingham à Ferrers) cet homme me faisait le plus grand honneur du monde, de me débarrasser de ma fille, la plus jolie femme de