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ses côtés. Dans l’intervalle, Maltravers était rentré, et il avait allumé son meerschaum ; c’était à sa pipe qu’il demandait l’inspiration toutes les fois qu’il se sentait embarrassé, ou que son éloquence habituelle venait à lui faire défaut, et tel était le cas où il se trouvait en ce moment. Avec cette fidèle alliée, il attendit Alice dans la petite allée bordée de buissons et d’arbres verts qui faisait le tour de la pelouse.

« Alice, dit-il, après un moment de silence ; » puis il s’arrêta tout court.

Alice le regarda avec un air de gravité respectueuse.

« Bah ! dit Maltravers ; peut-être l’odeur de la fumée vous est-elle désagréable ? C’est une mauvaise habitude que j’ai.

— Non, monsieur, » répondit Alice, qui parut désappointée.

Maltravers s’arrêta et cueillit une perce-neige.

« C’est joli, dit-il ; aimez-vous les fleurs ?

— Oh ! oui, passionnément, répondit Alice, avec une certaine chaleur ; je n’en avais pas vu beaucoup avant de venir ici.

— Allons ! maintenant je puis continuer, pensa Maltravers ; (pourquoi, je n’en sais rien, car je ne vois pas le sequitur ; mais enfin il continue in medias res.) Alice, vous chantez d’une manière charmante.

— Ah ! monsieur, vous… vous… elle s’arrêta subitement et se mit à trembler.

— Oui, je vous ai entendue, Alice.

— Et vous êtes fâché ?

— Moi ! à Dieu ne plaise ! c’est un talent ; mais vous ne savez pas ce que cela signifie. Je veux dire que c’est une excellente chose que d’avoir de l’oreille, de la voix, et le sentiment de la musique ; et vous avez tout cela. »

Il s’arrêta en se sentant saisir la main ; c’était Alice, qui s’en empara soudain et la baisa. Maltravers éprouva un frémissement dans tout son être ; mais il y avait quelque chose dans le regard de la jeune fille qui montrait combien elle se doutait peu qu’elle eût commis une action hardie ou inconvenante.

« J’avais si peur que vous ne fussiez fâché, dit-elle en essuyant ses yeux, et en laissant retomber la main de Maltravers ; et maintenant vous savez tout, je pense.

— Tout ?

— Oui ; comment je vous écoutais tous les soirs, comment je restais éveillée toute la nuit avec la musique qui me tintait dans les oreilles, jusqu’à ce que je pusse la retenir d’un bout