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dérouler devant lui une des plus brillantes carrières qui se soient jamais présentées dans ce pays à un homme public, étranger par sa naissance à l’aristocratie. Il me demande de faire partie de la nouvelle administration qu’il va créer. La place qu’on m’offre est au-dessus de ce que je mérite ; elle n’est pas proportionnée à ce que j’ai déjà fait, quoiqu’elle le soit peut-être à ce que je pourrai faire plus tard. Pardonnez-moi cette réserve ; vous savez, ajouta Ernest avec un sourire plein de fierté, que j’ai grande confiance en moi-même.

— Vous acceptez alors cette proposition ?

— Mais non ; ne dois-je pas plutôt la repousser ? Nos opinions politiques ne sont les mêmes que par occasion ; les objets que nous avons en vue diffèrent essentiellement. Pour servir M. ***, il faut que je fasse un compromis inégal ; que j’abandonne neuf opinions pour en produire une seule. N’est-ce pas une capitulation de la part de cette grande citadelle, la conscience ? Nul homme ne me trouvera inconséquent ; car, dans la vie publique, si l’on s’accorde avec un autre sur une question de parti, c’est tout ce que l’on vous demande ; on ne devine pas les mille questions, qui ne sont pas mûres encore, et qui restent cachées dans les limbes de l’avenir ; on ne s’en préoccupe pas ; mais j’avoue que je m’estimerais moi-même plus qu’inconséquent. Car voici le dilemme où je me trouve : si je me sers de ce noble esprit simplement pour atteindre à un seul objet, et que je le quitte en route, je suis traître envers lui ; si je le suis, après avoir atteint un seul des buts que je me propose, je suis traître envers moi-même. Telles sont mes conclusions. C’est avec douleur que j’y arrive, car mon cœur avait commencé d’abord par palpiter d’une ambition égoïste.

— Vous avez raison ; vous avez raison, s’écria Florence, le visage animé ; comment pouvais-je douter de vous ? Je comprends le sacrifice que vous faites ; car c’est une belle victoire que de prendre son essor au-dessus des prédictions de nos ennemis, dans cette route de l’honneur, que les yeux obtus du monde ne peuvent voir, et que son cœur froid et aride ne peut apprécier. Mais c’est une plus belle victoire encore de sentir qu’on n’a jamais fait, pour atteindre le but, un pas dont on voudrait révoquer le souvenir. Non, mon ami ; attendez que votre heure soit venue, avec la confiance qu’elle devra venir, cette heure où la conscience et l’ambition pourront s’acheminer côte à côte, où les vastes projets d’une large et