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une personne à part dans son sexe ; une créature radieuse à laquelle il ne manquait que de n’être pas une femme. Il le lui dit un jour en riant, et Florence estima que c’était un compliment. Pauvre Florence ; son mépris de son sexe vengeait son sexe, en lui ravissant sa destinée légitime.

Cleveland observait silencieusement leur intimité, et écoutait avec un calme sourire les bavards qui lui parlaient de tête-à-tête sur la terrasse, de promenades sur la pelouse, et qui prédisaient comment tout cela finirait. Lord Saxingham était aveugle. Mais sa fille était majeure, en possession de sa fortune princière, et depuis longtemps elle lui avait fait accepter l’indépendance de son caractère. Néanmoins, lord Saxingham méconnaissait complétement la nature d’un tel orgueil, et il était pleinement convaincu qu’elle n’épouserait pas moins qu’un duc ; quant à ses coquetteries, il trouvait que c’étaient des distractions toutes naturelles, et parfaitement innocentes. D’ailleurs, il ne passait pas beaucoup de temps à Temple-Grove. Tous les matins, après avoir déjeuné dans sa chambre, il partait pour Londres ; il revenait dîner, jouait au whist, et badinait gaiement avec Florence dans sa chambre de toilette, pendant les trois minutes qui s’écoulaient entre l’absorption de son verre de vin et d’eau, et l’apparition de son valet de chambre. Quant aux hôtes de Cleveland, ce n’était pas leur affaire de s’occuper d’autre chose que de bavarder ensemble ; Florence et Maltravers obéissaient donc à leurs fantaisies sans être molestés, mais non sans être observés. Comme Maltravers n’était pas lui-même amoureux de lady Florence ; il ne s’imaginait pas que lady Florence le fût de lui, ni qu’elle courût aucun danger de l’aimer un jour. C’est là une erreur que les hommes commettent souvent, les femmes jamais. Une femme, lorsqu’elle est aimée, le sait toujours ; bien qu’elle se figure souvent l’être quand elle ne l’est pas. Florence n’était pas heureuse, car le bonheur est un sentiment calme. Mais elle était animée par une émotion vague, étrange, enivrante.

Elle avait appris de Maltravers lui-même que Ferrers l’avait mal informée, et que nulle autre n’avait de droits sur son cœur. Qu’il l’aimât ou non, pour le moment ils étaient tout l’univers l’un pour l’autre. Elle ne vivait que pour l’heure présente, et ne voulait pas songer au lendemain.

Depuis cette maladie grave qui avait tant contribué à donner une direction nouvelle à la vie d’Ernest, il ne s’était plus présenté au public comme auteur. Récemment pourtant, cette