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avait une foi sincère dans la beauté de notre nature. Il croyait qu’il n’y a pas de méchanceté si noire, que la lumière n’y puisse pénétrer d’un côté ou d’un autre ; et peut-être est-ce à cette croyance qu’il dut, plus tard, sa perspicacité et l’empire qu’on lui attribua sur l’esprit des autres. Pourtant Maltravers avait ses accès de misanthropie, et dans ces moments-là, les lieux les plus sauvages savaient seuls lui plaire. L’hiver et l’été, les landes arides ou les verts pâturages avaient également du charme à ses yeux, car ce charme était dans son âme, à travers laquelle il les contemplait. Il rentrait de ces promenades à la tombée du jour, il prenait un repas frugal, il passait les longues soirées à lire ou à faire des vers : et tantôt la musique, tantôt les rêveries d’un jeune homme à qui la vie s’ouvrait riante, alternaient ses occupations. Heureux Maltravers ! La jeunesse et le génie ont des puissances que tout l’or des Rothschild ne saurait acheter ! Et pourtant, Maltravers, tu es ambitieux ! La vie s’avance trop lentement à ton gré ! Tu voudrais pousser les aiguilles sur le cadran des heures !… Tu as dix-huit ans, et tu es poëte !… Que peux-tu vouloir de plus ? Dis plutôt au temps de s’arrêter à jamais !

Un jour Ernest s’était levé plus tôt que de coutume, et il se promenait lentement dans la serre contiguë au salon ; il examinait les plantes avec une curiosité tranquille (car, non-seulement, il était botaniste, mais il avait aussi certaines idées visionnaires et bizarres concernant la vie des plantes, et il voyait en elles une foule de mystères, dont ne nous parlent pas les botanistes), lorsqu’il entendit une voix douce et mélodieuse qui chantait à peu de distance ; il prêta l’oreille, et reconnut, avec étonnement, des paroles de sa composition, qu’il avait récemment mises en musique, et dont il était assez satisfait pour les chanter tous les soirs.

Quand la voix s’arrêta, Maltravers traversa tout doucement la serre, ouvrit la porte qui conduisait au jardin, et à la fenêtre ouverte d’une petite chambre appropriée pour Alice, qui faisait saillie, selon la fantastique irrégularité commune aux cottages ornés, il aperçut son ancienne élève. Elle ne le voyait pas, et il dut l’appeler deux fois avant de réussir à la tirer de sa mélancolique rêverie.

« Alice, lui dit-il avec douceur, mettez votre chapeau et venez avec moi faire un tour de jardin ; vous êtes pâle, mon enfant, l’air vous fera du bien. »

Alice rougit et sourit ; quelques instants après, elle était à