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CHAPITRE II.

Idem velle, et idem nolle, ea demum firma amicitia est.
(Salluste.)
Carlos. — Cette lettre !

La princesse Eboli. — Oh ! je me meurs ! Rendez-la moi sur-le-champ.

(Schiller. Don Carlos.)

Le pacte qu’avaient formé Maltravers et lady Florence semblait avoir fait disparaître tout l’embarras et toute la réserve qui existaient auparavant entre eux. Ils causaient à présent avec une aisance et une liberté peu communes chez des personnes de sexe différent avant d’avoir passé la grande époque climatérique. Ernest, comme presque tous les hommes à émotions ardentes et à imagination puissante, était, dans la vie ordinaire, d’un abord sinon taciturne, du moins concentré. Lorsqu’il eut trouvé une personne qui pût le comprendre, et le comprendre d’autant mieux à mesure qu’il dévoilait davantage le fond de sa pensée, il lui sembla qu’un poids avait été soulevé de dessus sa poitrine. Son éloquence, sa poésie, son enthousiasme brûlant et comprimé trouvèrent une voix. Il pouvait parler à quelqu’un comme il eût écrit au public ; bonheur rare pour les écrivains !

Florence parut renaître à la santé et à la gaieté comme par miracle. Pourtant elle était plus douce, plus contenue qu’auparavant ; elle cherchait moins à briller ; elle manifestait moins d’indifférence à heurter les sentiments d’autrui. Les personnes qui la voyaient pour la première fois s’étonnaient qu’on la craignît dans la société. Mais, par moments, une grande irritabilité naturelle de caractère, une vive défiance des motifs de ceux qui l’entouraient, une véhémence de volonté impérieuse et obstinée, se laissaient voir encore à Maltravers, et servaient peut-être à protéger son cœur. Il la regardait avec les yeux de l’intelligence, non avec ceux des passions ; il ne pensait pas à elle comme à une femme ; ses talents, la grandeur de ses idées, la puissance de sa volonté, tout en le charmant dans la conversation, empêchaient son imagination de songer à sa beauté. Il la considérait comme