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la plus propre à donner aux hommes, à leur insu, de l’empire sur les pensées même de la femme dont ils ont conquis l’amour. Tandis que, d’un autre côté, il espérait que l’imagination et l’enthousiasme de Florence serviraient à aiguillonner et à rendre plus pratique une ambition qui, au calme point de vue de l’homme du monde, était disposée à se montrer trop délicate sur les moyens d’atteindre aux distinctions de la société, et trop portée au cui bono. D’ailleurs Cleveland savait apprécier dignement les avantages de fortune et de position. Il savait que le rang et la dot de Florence mettraient forcément Maltravers dans une position sociale qui exigerait de sa part le déploiement de facultés nouvelles ; et, selon lui, les facultés de Maltravers étaient plus propres à commander qu’à servir. Il reconnaissait chez Ferrers un homme qui parviendrait au pouvoir ; chez Maltravers un homme par qui le pouvoir, s’il y atteignait jamais, serait manié avec dignité et exercé en faveur de nobles objets. Il y avait donc chez Cleveland, un motif plus élevé que l’intérêt vulgaire de Maltravers dans son désir de lui voir obtenir le cœur et la main de la grande héritière ; et il s’imaginait que, quel que fût l’obstacle, il ne viendrait pas de la part de lady Florence. Néanmoins, il résolut prudemment de laisser les choses suivre leur cours naturel. Il ne parla de rien ni à l’un ni à l’autre. Il n’y a pas d’endroit où l’on devienne aussi facilement amoureux que dans une grande maison de campagne ; et il n’y a pas de moment plus propice aux amours, dans le grand monde indolent, que la fin de la saison de Londres, époque où, ennuyés par mille petits soucis, et dégoûtés des intimités superficielles, les gens les plus froids eux-mêmes soupirent après les témoignages d’une affection sincère, et le plaisir d’une émotion vraie.

Après les deux ou trois premiers jours il arriva que, d’une façon ou d’une autre, Ernest et Florence se trouvaient continuellement ensemble. Montait-elle à cheval, Maltravers était toujours à côté d’elle ; faisait-on des excursions sur l’eau, Maltravers, dans sa légère embarcation, se trouvait toujours assis sur la même banquette que Florence.

Souvent le soir les plus jeunes d’entre les hôtes de Temple-Grove, organisaient, avec le concours de quelques familles du voisinage, de petits bals, qui se donnaient dans un pavillon provisoire, annexé à la salle à manger. Ernest ne dansait jamais. Florence dans les premiers temps dansait volontiers. Mais une fois elle causait avec Maltravers, lorsqu’un brillant