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« La petite sotte ! pensa-t-il en devinant ce que c’était : elle m’écoutait chanter. Je la gronderai. »

Mais il oublia cette résolution.

Le lendemain, le surlendemain et les jours suivants s’écoulèrent sans que Maltravers vît beaucoup l’élève pour laquelle il s’était enfermé dans un cottage rustique, au cœur de l’hiver. Cependant il ne regrettait pas ce qu’il avait fait, et son isolement ne lui était pas à charge. Il ne voulait pas surveiller les progrès d’Alice, car il avait la certitude qu’il serait mécontent de les trouver trop lents ; quelques charmes qu’on possède, on ne peut apprendre à lire et à écrire en un jour. Cependant il trouvait moyen de s’amuser. Il était content de l’occasion d’être seul avec ses pensées ; car il était à l’une de ces époques périodiques de la vie où l’on aime à s’arrêter un moment pour respirer, avant de reprendre son élan dans cette course systématique qui nous entraîne jusqu’au tombeau. Il désirait rassembler les éléments de son expérience passée, et se reposer un instant en lui-même, avant de s’élancer de nouveau au milieu de l’activité du monde. Le temps était froid et rigoureux ; mais Ernest Maltravers était un intrépide admirateur de la nature, et ni la neige, ni la gelée, ne pouvaient le détourner de ses promenades quotidiennes. Ainsi, tous les jours vers midi, il jetait de côté livres et papiers, prenait son chapeau et sa canne, et s’en allait sifflant ou chantonnant ses airs favoris. Il parcourait les rues mornes, côtoyait les eaux glacées, il errait dans les bois défeuillés, au gré de ses fantaisies passagères ; car il n’était ni un Edwin, ni un Harold, et il ne réservait pas ses contemplations uniquement pour les ruisseaux solitaires, ou les collines pastorales. Maltravers aimait à étudier la nature dans les hommes, aussi bien que dans les troupeaux ou les arbres. La plus misérable impasse d’une ville populeuse avait quelque chose de poétique à ses yeux. Qu’une foule se rassemblât même autour d’un orgue de Barbarie ou d’un combat de chiens, il était toujours prêt à s’y mêler, à écouter tout ce qui se disait, à observer tout ce qui se faisait. C’est là, selon moi, le véritable tempérament poétique, essentiel à tout artiste qui a l’ambition de devenir quelque chose de plus qu’un peintre en décors. Par-dessus, tout, Maltravers s’intéressait au spectacle des passions et des affections humaines ; il aimait à voir les véritables couleurs du cœur, là où elles se révèlent avec le plus de transparence ; chez les pauvres et les ignorants, il était disposé à l’optimisme, et il