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nette et accentuée qu’on admire dans le marbre, mais qui donne à la chair vivante un caractère dur et ferme, mieux approprié à un sexe plus fort ; non, ce nez n’avait ni la pureté grecque, ni la pureté du moule romain, mais il était petit, délicat, et, le plus légèrement du monde, retroussé vers le bout, ce qui ne s’apercevait que dans une seule position de la tête, comme pour donner quelque chose de plus spirituel à des lèvres gracieuses et flexibles, qui, dans la douceur de leur expression de repos, semblaient sourire sans le savoir, moins par l’effet d’une enfantine gaieté, que par suite d’une heureuse sécurité de tempérament. Telle était la physionomie de cette belle enfant, que Maltravers regardait plein d’un respect involontaire, avec une admiration extatique, du genre de celle qu’on ressent en contemplant une vierge de Raphaël, ou un soleil couchant de Claude Lorrain. La jeune fille ne paraissait pas éprouver de coquetterie prématurée en voyant l’admiration manifeste, quoique discrète, dont elle était l’objet. Son regard sans crainte et sans défiance rencontra ouvertement les yeux brillants et éloquents qui étaient fixés sur elle. Avec l’impulsion vive et sans contrainte d’une enfant, elle signalait du geste à sa compagne le crin noir et luisant, et le cou fier et gracieusement recourbé du superbe cheval arabe que montait Ernest.

Or il arriva, entre Maltravers et le jeune objet de son admiration, un petit incident qui servit peut-être à fixer dans la mémoire de la jeune fille cette passagère rencontre avec un étranger ; car il est certain que, bien des années après, elle se rappelait toutes les circonstances de cette rencontre, et les traits de Maltravers. Elle portait un de ces grands chapeaux de paille qui sont si jolis sur la tête des enfants ; la chaleur du jour lui fit dénouer les rubans qui l’attachaient. À un détour de la route où la campagne se trouvait plus découverte, une brise douce se leva et emporta soudain le chapeau presque sous les pieds du cheval d’Ernest. L’enfant, tout naturellement, s’élança en avant pour arrêter son déserteur, et son pied glissa sur le rebord du talus, un peu abrupt en cet endroit ; elle poussa un cri de douleur étouffé. Mettre pied à terre, ressaisir le chapeau, le rendre à qui de droit, ce fut pour Ernest l’affaire d’un moment ; la pauvre petite s’était foulé la cheville, et s’appuyait sur sa bonne pour ne pas tomber. Mais lorsqu’elle vit de l’inquiétude et presque de l’effroi sur le visage de l’étranger (car le cri de douleur de l’enfant lui avait littérale-