Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvoir plus se passer de ces lettres, qu’il recevait depuis plus de deux années et qui, avec leur mélange de lamentations, d’exhortations, de sombre découragement et d’enthousiasme déclamatoire, l’avaient souvent consolé dans ses moments de tristesse, et lui avaient souvent fait apprécier les joies du succès. Tandis que son esprit était préoccupé de ces pensées (car, d’une façon ou d’une autre, à tous ses rêves d’ambition se mêlaient toujours des pensées de curiosité au sujet de sa correspondante), il fut frappé de la beauté d’une petite fille, âgée d’environ onze ans, qui se promenait avec une bonne sur la chaussée, le long de la route. Je dis qu’il fut frappé de sa beauté, mais non, ce fut plutôt le charme de sa physionomie que la perfection de ses traits qui arrêta le regard de Maltravers ; charme étrange qui peut-être eût été nul pour d’autres, mais qui était pour lui d’une séduction inexprimable, et qui avait si peu de rapport avec la fascination vulgaire de la seule beauté, que son cœur en eût été également touché, s’il l’avait trouvé réuni à des traits incorrects et irréguliers, ou à un teint sans fraîcheur. Ce charme consistait en une expression de douceur d’une innocence indicible, qui rappelait le regard de la colombe. Nous nous faisons tous quelque image idéale du bel ange tutélaire que nous souhaitons sur terre, et, dans les caprices de notre imagination, nous mesurons et nous proportionnons notre admiration pour les êtres vivants, au plus ou moins de ressemblance qu’ils nous présentent avec ce beau idéal. La beauté qui n’est pas d’un caractère familier aux rêves de notre esprit obtiendra peut-être le froid hommage de notre raison, tandis qu’un regard, un trait, quelque chose qui réalise et qui évoque la vision de notre adolescence, qui s’assimile, même indistinctement, à l’image que nous portons en nous, recèle une beauté particulière à nos regards, et réveille une émotion qui semble presque appartenir au souvenir. C’est ce que devaient éprouver les platoniciens lorsqu’ils supposaient que les âmes entraînées l’une vers l’autre sur la terre avaient été précédemment unies dans une autre phase d’existence, et dans une sphère plus divine. Il y avait précisément dans la jeune figure que contemplait Ernest, cette ineffable conformité avec ses idées préconçues du beau. Plus d’une rêverie se réalisait pour lui dans ces yeux doux et souriants, d’un bleu foncé, dans cette expansion ingénue du front, dans les contours fins et bien dessinés de ces sourcils, dans ce nez où l’on ne voyait pas la régularité