Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de logique avaient conduit jusqu’au républicanisme, et qui jadis accusait souvent Maltravers de compromettre par des tergiversations la vérité elle-même, en hésitant à l’appliquer à un état de société artificiel) comme un aventurier hypocrite et sans convictions. De son côté, Ferrers, voyant qu’Ernest ne pouvait plus lui être utile à rien, ne demandait pas mieux que de planter là une intimité sans profit. Il pensait même que le meilleur moyen de bannir un rival supposé de la maison de son noble parent, lord Saxingham, ce serait de se faire quelque querelle avec lui, s’il était possible. Mais l’occasion ne s’en présenta pas, de sorte que Lumley tint en réserve une boutade toute prête, ou un sarcasme impromptu pour s’en servir au besoin.

La saison et la session touchaient l’une et l’autre à leur terme, lorsque Maltravers reçut de Cleveland une invitation pressante pour passer une semaine à sa villa, qu’il trouverait disait-il, pleine de personnes agréables ; et comme toutes les affaires qui pouvaient donner matière à des débats ou à des divisions étaient terminées, Maltravers fut heureux de pouvoir respirer un peu d’air frais et changer de lieux. Il expédia donc son bagage et ses livres favoris, et par une belle après-midi du mois d’août, il monta à cheval et s’achemina seul vers Temple-Grove. Son expérience de la vie publique lui avait causé beaucoup de mécontentement, et peut-être beaucoup de mécomptes ; aussi plus disposé encore que de coutume à juger sévèrement les défauts des autres, avec ses idées grandioses de délicatesse raffinée, il poussait la mauvaise humeur jusqu’à mêler à ses critiques des reproches qu’il s’adressait à lui-même, pour avoir trop cédé aux doutes et aux scrupules qui souvent éprouvent les esprits honnêtes et sincères, au début de leur carrière dans le tourbillon du monde politique, et qui ne manquent jamais d’énerver l’énergie de l’action en flétrissant ses robustes couleurs par le pâle reflet de la prudence.

Son esprit s’acheminait lentement vers ces conclusions qui métamorphosent quelquefois les théoristes les plus exaltés en praticiens consommés, et peut-être voyait-il devant lui la perspective agréable, présentée d’une manière si flatteuse à un autre homme d’État qui se plaignait d’être trop honnête pour la politique : « N’ayez pas peur, vous deviendrez un fort joli coquin, avec le temps. »

Depuis plusieurs semaines il n’avait pas eu de nouvelles de sa correspondante inconnue, et maintenant il en était venu à