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rence, et les chances de succès que lui (Cesarini), pouvait espérer auprès d’elle.

Lumley cacheta cette lettre, et s’en chargea comme de la première.

« Vous remarquez, dit-il brièvement à Cesarini, que le but de cette épître est d’amener Maltravers à faire un aveu franc et sincère de son aversion pour lady Florence ; nous pourrons nous servir avantageusement plus tard d’un pareil aveu, si nous trouvons en lui un rival. Maintenant allez chez vous vous reposer ; vous paraissez épuisé. Adieu, mon nouvel ami. »

« J’avais depuis longtemps un pressentiment que cette étrange fille s’était prise d’une fantaisie romanesque pour Maltravers, dit Lumley à son conseiller intime, c’est-à-dire à lui-même, en s’acheminant vers Great-George-Street. Mais je puis facilement empêcher qu’un pareil accident ne dégénère en une véritable catastrophe. En attendant, je me suis assuré d’un instrument qui pourra me servir au besoin. Pardieu ! que ce poëte est donc un sot animal ! Mais Cassio était de même, et cela n’empêchait pourtant pas Iago de s’en servir. Si Iago était né de notre temps, et qu’il eût renoncé à cette absurde manie de vengeance, c’eût été un gaillard bien remarquable ! Il serait devenu premier ministre tout au moins ! »

Castruccio Cesarini, pâle, défait, épuisé, après avoir parcouru une longue distance, arriva enfin à son pauvre logis, dans un faubourg de Chelsea. Sa fortune était maintenant dissipée, il l’avait dépensée à faire faire bien maigre chair à une vanité insatiable et imbécile ; il l’avait dépensée à paraître ce que la nature ne l’avait jamais destiné à être : un élégant libertin, un gracieux dissipé, le trouvère de la vie moderne ; il l’avait dépensée en chevaux, en bijoux, en vêtements élégants ; il l’avait dépensée au jeu, et à la publication de poëmes qui ne se vendaient pas, imprimés sur papier satiné et dorés sur tranches ! il l’avait dépensée afin d’être, non pas un plus grand homme, mais un homme plus à la mode qu’Ernest Maltravers ! Tel est le commun destin de ces pauvres aventuriers qui emprisonnent la gloire dans les étroites limites des boudoirs et des salons. Qu’ils soient poëtes ou dandys, riches parvenus ou cadets de l’aristocratie, peu importe ; tous apprennent à leurs dépens que, lorsqu’on se trompe de chemin pour arriver à la célébrité, on laisse, épars sur la route, les débris de la tranquillité, du bonheur, de la fortune, et trop souvent de l’honneur ! Et cependant ce pauvre jeune homme avait osé