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était mêlée de tant de tristesse qu’elle perdait toute son éloquence, et que celui qui en était l’objet en fut plus attristé que flatté.

Après le dîner, lorsque Maltravers rentra dans les salons, il les trouva remplis de cette populace habituelle de la bonne société. Dans un coin, il aperçut Castruccio Cesarini qui jouait de la guitare ; son instrument était suspendu autour de son cou par un ruban bleu. L’Italien chantait bien ; plusieurs jeunes personnes se pressaient autour de lui, et parmi les autres Florence Lascelles. Maltravers, quoiqu’il aimât beaucoup la musique, vit avec répugnance que Cesarini s’offrît ainsi en spectacle. Il avait des idées chevaleresques au sujet de la dignité du talent ; et, bien qu’il possédât lui-même une science musicale et une voix qui auraient transporté en extase tous les auditeurs présents, il aurait aussi volontiers songé à se faire bateleur ou clown pour l’amusement de la société, qu’à briguer les applaudissements d’un salon. C’est parce que Maltravers était un des hommes les plus orgueilleux du monde, qu’il était aussi des moins vaniteux. Il ne se souciait aucunement des louanges qui s’adressent aux petites choses. Mais Cesarini aurait convoqué le monde entier pour le voir jouer aux jonchets, s’il s’était figuré qu’il y jouait avec adresse.

« C’est admirable ! C’est divin ! C’est charmant ! s’écrièrent les jeunes demoiselles, lorsque Cesarini eut fini. Maltravers remarqua que Florence le louait plus chaleureusement que les autres, et que les yeux noirs de Cesarini étincelaient, tandis que ses joues pâles se couvraient d’un éclat inusité. Florence se dirigea vers Maltravers ; l’Italien la suivait des yeux ; son front s’assombrit et se contracta.

— Vous connaissez signor Cesarini, dit Florence, en accostant Maltravers. C’est un jeune homme intéressant et distingué.

— Sans aucun doute. Je regrette de lui voir gaspiller son talent, le semer dans un terrain qui pourra produire quelques fleurs passagères, mais pas une plante utile, pas un fruit profitable.

— Il jouit de l’heure présente, monsieur Maltravers ; et quelquefois, quand je vois les mécomptes qui attendent un travail plus austère, je trouve qu’il a raison.

— Chut ! dit Maltravers ; il a les yeux sur nous : il écoute avec anxiété chacune de vos paroles. Je crains que, sans vous en douter, vous n’ayez fait la conquête d’un cœur de poëte ; et