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et historique ; quoiqu’il eût un haut rang, et quelque réputation personnelle, il avait toute l’ambition d’un parvenu. Il avait la plus haute estime pour les fonctions administratives. Ce n’était pas parce qu’il éprouvait une sublime affection pour cette chose sublime, l’autorité qu’elles donnent sur les destinées d’une nation ; mais c’était surtout parce que ces fonctions ajoutaient un peu à cette chose vulgaire, son importance personnelle dans sa coterie. Il regardait son uniforme de ministre du même œil qu’un bedeau regarde ses galons dorés. Il aimait aussi à protéger, à assurer de bonnes places à des parents éloignés, et il poussait à la fortune tous les membres de sa famille jusqu’au dernier degré de parenté ; en somme il était fort attaché aux choses terrestres. Il ne comprenait pas Maltravers ; et Maltravers, qui devenait tous les jours de plus en plus fier, le méprisait. Pourtant lord Saxingham entendait dire que c’était un homme d’avenir, et il jugeait à propos de faire bon accueil aux hommes d’avenir, à quelque parti qu’ils appartinssent. D’ailleurs il était flatteur pour son amour-propre. de s’entourer de gens qui faisaient parler d’eux. Il était trop affairé et trop grand personnage pour douter de la bonne foi de Maltravers, lorsque celui-ci lui déclarait dans ses lettres qu’il était désolé, ou qu’il regrettait beaucoup d’être privé de dîner chez lord Saxingham le, etc., etc. Par conséquent il continua ses invitations, jusqu’au jour où Maltravers, par l’effet de cette fatalité qui, sans aucun doute, nous régit et nous domine, accepta enfin la politesse qui lui était faite.

Il arriva tard : presque tous les invités étaient assemblés. Après avoir échangé quelques paroles avec le maître de la maison, Ernest se retira et se confondit avec la compagnie ; il se trouva tout près de lady Florence Lascelles. Cette dernière n’avait jamais beaucoup plu à Maltravers, car il n’aimait pas les femmes masculines, ni les héroïnes coquettes, et lady Florence lui paraissait cumuler ces deux titres ; aussi, quoiqu’il l’eût souvent rencontrée dans le monde, depuis le jour où il lui avait été présenté, il s’était toujours contenté de lui faire de loin un salut, ou de l’aborder avec quelque phrase convenue en passant. Mais cette fois, au moment où en se tournant il l’aperçut, par le plus grand des hasards elle était assise toute seule, et ses traits si nobles et si admirables portaient des traces de souffrance tellement visibles, qu’il en fut frappé et touché. En effet, toute belle qu’elle était de taille et de visage, il y avait quelque chose dans les yeux et dans la fraîcheur de