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donnez aux paroles un charme que je n’y avais jamais aperçu jusqu’à ce jour ; et pourtant elles sont (aussi bien que la musique) de mon pauvre ami que M. Templeton n’aime pas : Maltravers.

— Sont-elles vraiment de lui ? dit mistress Templeton, avec émotion ; c’est singulier, je n’en savais rien. J’ai entendu ce motif dans les rues, et il m’a vivement frappé. J’ai demandé le titre de la romance, et je l’ai achetée ; c’est fort étrange !

— Qu’est-ce qu’il y a d’étrange ?

— C’est qu’il y a une espèce de langage dans la musique et la poésie de votre ami qui me revient à la mémoire, comme des paroles que j’aurais entendues il y a bien longtemps ! Est-il jeune, ce monsieur Maltravers ?

— Il est jeune encore.

— Et… et… »

Ici mistress Templeton fut interrompue par l’entrée de son mari. Il tenait à la main la lettre de lord Saxingham qu’il n’avait pas encore ouverte. Il paraissait de mauvaise humeur ; mais ce n’était pas rare. Il donna froidement la main à Lumley, fit un signe de tête à sa femme, se plaignit du feu, et se jeta dans un fauteuil.

« Je crois, Lumley, dit-il, que j’ai fait une sottise de suivre votre avis, et de me tenir à l’écart pendant cette élection. Je vois par les journaux de ce soir qu’il va bientôt y avoir une nouvelle création de pairs. Si j’avais montré de l’activité en faveur du gouvernement, on aurait peut-être eu honte de me traiter avec ingratitude.

— Je crois au contraire que j’avais raison, répondit Lumley ; c’est la crainte, bien plus souvent que la honte, qui rend les hommes publics reconnaissants. Les votes favorables sont comme les vieux amis : on ne les estime jamais autant que lorsqu’on va les perdre. Mais qu’est-ce que cette lettre que vous avez dans la main ?

— Oh ! quelque pétition pour me soutirer de l’argent, je pense.

— Pardonnez-moi ; elle a un air officiel. »

Templeton mit ses lunettes, éleva la lettre au niveau de ses yeux, en examina l’adresse et le cachet, l’ouvrit précipitamment, et laissa échapper une exclamation qui ressemblait beau coup à un juron. Quand il eut achevé de lire :

« Donnez-moi la main, mon neveu, s’écria-t-il ; la chose est arrangée, j’aurai mon titre. Vous aviez raison ; ah ! ah !… ma