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chanter. Sa voix était si suave et si riche, son goût si pur, que Ferrers, qui était bon juge en musique, s’arrêta surpris et ravi. Bien qu’il fût venu fort souvent chez son oncle, qu’il y eût même demeuré, il n’avait jamais entendu mistress Templeton chanter autre chose que de la musique religieuse ; mais cette fois c’était une romance sentimentale fort en vogue. Il s’aperçut que, vers la fin, sa voix était altérée par l’émotion ; elle s’arrêta tout à coup, et lorsqu’elle se retourna, sa figure avait une expression d’attendrissement si éloquente que Ferrers en fut vivement frappé. Il n’était pas homme à éprouver de la curiosité pour ce qui ne le concernait pas immédiatement ; pourtant il ne put s’empêcher d’en ressentir au sujet de cette femme, si belle et si triste. Il y avait dans son aspect habituel ce regard inexprimable de profonde résignation, qui témoigne de la continuelle souvenance d’un passé douloureux. Dans ses yeux, dans son sourire, dans sa démarche languissante et sans gaieté on devinait un cœur prématurément brisé. Mais à la régularité calme et consciencieuse avec laquelle elle accomplissait la routine de ses tranquilles devoirs, on voyait que la douleur l’accablait plutôt qu’elle ne la troublait. Si son fardeau était lourd, l’habitude semblait l’aider à le porter sans murmurer ; et l’émotion que Ferrers lisait en ce moment sur ses traits doux et harmonieux était d’un genre qu’il n’y avait jamais aperçu qu’une seule fois : le premier jour qu’il avait vu mistress Templeton, ce jour où la poésie, qui est la clef de la mémoire, venait évidemment d’ouvrir dans son esprit la chambre noire hantée par des fantômes de souvenirs tristes et désolés.

« Ah ! chère madame, dit Ferrers, en s’avançant dès qu’il s’aperçut qu’il avait été vu, j’espère que je ne vous dérange pas ? Je sais que ce n’est pas l’heure des visites : mais j’ai besoin de voir mon oncle, où est-il ?

— Il a passé toute la matinée en ville, il m’a dit qu’il dînerait dehors, et maintenant je l’attends d’un instant à l’autre.

— Vous vous efforciez de charmer les ennuis de l’absence. Oserais-je vous prier de continuer ? J’entends bien rarement des voix aussi suaves et un chant aussi parfait. Vous avez dû étudier sous les meilleurs professeurs de l’Italie ?

— Non, dit mistress Templeton dont les joues délicates se couvrirent d’un léger incarnat ; j’ai appris dans ma jeunesse d’une personne qui aimait beaucoup la musique, et qui en avait le sentiment ; mais ce n’était pas un étranger.

— Voulez-vous me chanter encore cette romance ? Vous,