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repos. Quant au bien-être particulier et aux inspirations, Ernest y était presque étranger. Il finit même insensiblement par cesser presque de voir son vieil ami Ferrers, dont les habitudes avaient peu de rapport avec les siennes. Cleveland habitait de plus en plus sa campagne, et il était trop satisfait de la carrière et de la réputation croissante de son ancien élève, pour l’importuner de ses exhortations ou de ses conseils. Cesarini était devenu un lion littéraire, dont le génie était chaleureusement applaudi dans toutes les revues, d’après le même principe qui fait qu’on loue les chanteurs étrangers ou les morts ; car il faut bien vanter quelque chose, et l’on n’aime point à vanter ce qui nous gêne pour arriver. Par conséquent la vanité de Cesarini s’était prodigieusement développée ; il jurait que l’Angleterre était la seule patrie du véritable mérite, et il ne dissimulait plus la jalouse colère que lui faisait éprouver la célébrité plus généralement répandue de Maltravers. Ernest soupirait de compassion en lui voyant dissiper sa fortune, et prostituer ses talents à de frivoles succès de salon. Il chercha en vain à le mettre sur ses gardes ; Cesarini l’écouta avec tant d’impatience qu’il renonça au rôle de mentor. Il écrivit à de Montaigne, qui, de son côté, ne réussit pas mieux. Cesarini était décidé à jouer son va-tout. Et, sans métaphore, il avait fini réellement par se lancer dans les hasards du jeu. Son ardeur inquiète s’exhalait dans les émotions de rouge et noir, et ses dernières guinées disparaissaient rapidement.

Mais les lettres de de Montaigne consolaient Maltravers de la perte d’amis moins sympathiques. Le Français était devenu un homme éminent et illustre, dont l’approbation lui était plus douce que les applaudissements de la foule pendant tout ce temps ; aussi la correspondance suivie de son invisible Égérie flattait sa vanité et aiguisait sa curiosité. Cette correspondance (s’il est permis de donner ce nom à des lettres qui ne venaient que d’une main) durait depuis fort longtemps, et Maltravers était toujours dans l’impossibilité d’en découvrir l’auteur. Le ton, depuis quelque temps, en était changé, il était devenu plus triste et plus doux ; on lui parlait du vide aussi bien que des triomphes de la célébrité ; et avec un sentiment véritablement féminin, on donnait souvent à entendre qu’il est plus doux de consoler la tristesse que de partager la gloire. Il y avait dans toutes ces lettres des témoignages irrécusables d’une haute intelligence et d’un sentiment pro-