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haut d’une calme et sereine estime de lui-même, il sentait le soleil luire au-dessus de sa tête, lorsque des nuages malveillants s’amoncelaient sombres et menaçants au-dessous de lui. Il ne méprisait pas l’opinion ; il ne la froissait pas sciemment, mais il ne voulait pas non plus se courber devant elle et la flatter. Toutes les fois qu’il trouvait qu’on devait céder à l’opinion du monde, il y cédait ; mais toutes les fois qu’il trouvait qu’on devait la dédaigner, il la dédaignait. Bien souvent un individu honnête, éclairé, loyal et consciencieux, est meilleur juge que la multitude de ce qui est bien et de ce qui est mal : et, en pareil cas, il n’a aucune valeur morale s’il permet que la multitude, par son courroux ou ses flatteries, fasse violence à son jugement. Le public, quand on le gâte, est une détestable commère qui fourre son nez dans les affaires de tout le monde, dont elle n’a pas le droit de se mêler. Dans les choses où le public n’est pas compétent, Maltravers le méprisait et repoussait son intervention avec la même hauteur qu’il eût repoussé l’intrusion de tout membre insolent de cette masse insolente. C’était ce mélange d’amour sincère, de respect pour le peuple de tous les temps, et de dédain calme et froid pour ce capricieux charlatan, le public du moment, qui faisait d’Ernest Maltravers un penseur original et unique, et un acteur véritablement modeste et bienveillant, quoiqu’il pût paraître arrogant et insociable.

« Le paupérisme, disait-il souvent, par opposition à la pauvreté, c’est le droit qu’on s’attribue de mettre son existence à la charge des autres, au lieu de la devoir à ses propres efforts : et il y a une espèce de paupérisme moral chez l’homme qui demande aux autres ce soutien de la vie morale, le respect de soi-même. »

Plongé dans cette philosophie, il poursuivait fièrement son chemin solitaire, et il se sentait convaincu que, lorsque les préjugés et l’envie se seraient dissipés, il retrouverait au fond du cœur des hommes, de la sympathie pour ses motifs et pour sa carrière. Quant à sa santé, l’épreuve des travaux parlementaires lui avait parfaitement réussi. Ni le labeur des affaires, ni les veilles, ni l’ennui des longs discours, ne sauraient produire cet épuisement redoutable, qui suit tous les efforts de l’âme pour s’élever dans les hautes régions de la pensée austère et de l’imagination excitée. Les facultés qui, chez lui, avaient été surmenées, restaient maintenant en jachère ; et le corps retrouvait rapidement sa vigueur dans le