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célestes sur cette page blanche ; il se ferait le Saint-Preux de cette Julie de la nature. Hélas ! il ne pensait pas aux conséquences que ce rapprochement aurait dû lui suggérer ! À cet âge de sa vie, Ernest Maltravers ne refroidit jamais l’ardeur qu’il mettait à ses expériences en réfléchissant d’avance aux résultats qu’elles pourraient avoir.

« Ainsi, dit-il, après une courte rêverie ; ainsi vous voudriez vivre auprès de moi ? Mais, Alice, il ne faudrait pas que nous devinssions amoureux l’un de l’autre.

— Je ne comprends pas, monsieur.

— N’importe, dit Maltravers, quelque peu déconcerté.

— J’ai toujours désiré entrer en service.

— Ah !

— Et vous seriez un bon maître. »

Maltravers était presque désenchanté.

« Cette préférence n’est guère flatteuse, pensa-t-il ; le danger sera d’autant moins grand. Eh bien, Alice, il sera fait comme vous le désirez. Êtes-vous bien dans votre nouveau logement ?

— Non.

— Pourquoi ? on ne vous insulte pas, j’espère ?

— Non ; mais on fait du bruit, et j’aime à être tranquille pour penser à vous. »

Le jeune philosophe commença à se réconcilier avec son projet.

« Eh bien, Alice, retournez-vous-en ; je louerai une petite maison dès demain ; je vous prendrai à mon service, et je vous apprendrai à lire, à écrire, à dire vos prières et à connaître votre père qui est dans le ciel et qui vous aime bien mieux que celui que vous avez ici-bas. Venez me trouver ici, demain, à la même heure. Pourquoi pleurez-vous, Alice ? pourquoi pleurez-vous ?

— Parce que… parce que, répondit la jeune fille en sanglotant, parce que je suis bien heureuse de ce que je vais vivre auprès de vous et que je vous verrai.

— Allez, mon enfant, allez ! dit vivement Maltravers ; » il s’éloigna, sentant battre son cœur plus vite qu’il ne convenait à son nouveau rôle de maître et de pédagogue.

Il tourna la tête et vit la jeune fille qui le suivait des yeux ; il lui fit signe de la main ; elle se mit à marcher et le suivit de loin jusqu’à la ville.

Maltravers, quoiqu’il ne fût pas un fils aîné, était l’héritier d’une belle fortune ; il jouissait d’une pension libérale qui