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cières suffisant pour servir ses desseins. Le voisinage qu’il avait choisi, si proche des chambres du parlement, était commode aux hommes politiques, et par degrés ses grands salons sombres devinrent pour eux un lieu de rendez-vous ; ils y discutaient ces mille intrigues souterraines par lesquelles tantôt on appuie, tantôt on attaque un parti. Ainsi, sans être dans les chambres, Ferrers s’associa peu à peu aux hommes et aux affaires du parlement ; et le parti ministériel dont il embrassa la politique le comblait de louanges, se servait de son crédit, et promettait, un jour ou l’autre, de faire quelque chose pour lui.

Tandis que la carrière de cet homme habile et peu scrupuleux se préparait ainsi (il va sans dire que ce ne fut pas l’affaire d’un jour), Ernest Maltravers gravissait, par un sentier rude, épineux, disputé, cette hauteur sur le sommet de laquelle s’élèvent pour les hommes les monuments de la gloire. Ses succès dans l’arène parlementaire ne furent ni brillants ni immédiats. Car, bien qu’il eût de l’éloquence et du savoir, il dédaignait les artifices oratoires ; et, en dépit de sa passion et de son énergie, on ne pouvait guère le regarder comme un partisan bien dévoué. Il excita beaucoup d’envieux, et rencontra beaucoup d’obstacles. La gracieuse et bouillante affabilité de son caractère et de ses manières, qui dans sa première jeunesse l’avait rendu l’idole de ses camarades de collége, avait depuis longtemps cédé la place à une réserve froide, calculée dont la dignité, malgré sa douceur, n’avait pas le pouvoir de charmer le grand nombre. Mais, bien qu’il parlât rarement et qu’il entendît souvent applaudir avec enthousiasme des hommes qui n’avaient pas la moitié de son mérite, il réussit néanmoins à éveiller l’attention et le respect. Il n’était pas le favori des coteries et des partis ; mais la conviction que ses intentions étaient droites, que son honneur était incorruptible, que ses opinions étaient justes et réfléchies, se répandait silencieusement et universellement parmi la masse de la nation, l’auditoire et le tribunal auquel Maltravers, dans la politique comme dans les lettres, en appelait toujours. Il sentait que son nom était un capital bien placé, quoique les rentrées en fussent lentes et modestes. Il se contentait d’attendre que son moment fût venu.

Chaque jour il s’attachait davantage à cette seule vraie philosophie, qui fait trouver à l’homme un monde en lui-même, autant que le monde extérieur veut bien le lui permettre ; et du