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Néanmoins, le moyen dont il s’était servi pour gagner l’estime et la considération de Templeton réussit parfaitement. Il veilla à ce que rien, dans l’administration de son propre ménage, ne parût extravagant ; tout y était modeste, sans prétentions et bien ordonné. Il prétendait qu’il s’était arrangé de manière à vivre sans dépasser son revenu ; et Templeton, ne recevant aucune demande d’argent, ne sachant pas non plus que sur le continent Ferrers avait épuisé une grande partie de sa fortune, crut ce qu’il lui disait. Ferrers donnait souvent à dîner ; mais il ne suivait pas ce système absurde, considéré comme un moyen de popularité par certaines gens qui prétendent connaître le monde : il n’avait pas la prétention de donner de meilleurs dîners que les autres. Il savait qu’à moins d’être un personnage très-riche ou très-haut placé, il n’y a pas de folie pareille à celle de croire qu’on peut attendrir le cœur de ses amis avec des potages à la bisque, et du johannisberg à une guinée la bouteille ! Ils s’en vont tous en disant : « De quel droit ce diable d’homme-là donne-t-il de plus beaux dîners que nous ? Quel mauvais goût ! Quelle présomption ridicule ! »

Non ; bien que Ferrers fût lui-même un savant disciple d’Épicure, et qu’il sût priser mieux que personne le luxe de sa table, il donnait à ses amis ce qu’il nommait « un honnête menu, » Sa cuisinière n’épargnait pas la farine dans la sauce aux huîtres ; il ne servait jamais d’autre poisson que de la morue fraîche ; et quatre entrées, sans saveur ni prétention, lui étaient ponctuellement fournies par le pâtissier, mais l’hôte se gardait bien d’y goûter. M. Ferrers n’affectait pas non plus de s’entourer de beaux esprits ou de brillants causeurs. Il s’en tenait à la société d’hommes solides et considérés, et généralement il avait soin d’être l’esprit le plus distingué de sa compagnie, et de diriger la conversation vers des questions sérieuses de politique, de fonds publics, de commerce ou de code criminel, qu’il avait étudiées pour la circonstance. Laissant de côté une partie de sa gaieté tout en conservant sa franchise, il cherchait à se faire une réputation d’homme bien élevé, laborieux, qui avait de l’avenir. Ses relations de famille, et un certain charme sans nom qu’il devait surtout à une physionomie agréable, à une candeur hardie mais engageante, et à une absence complète de hauteur ou de prétention, le mettaient à même de réunir autour de cette modeste table (qui ne blessait aucun amour-propre, si elle ne flattait pas le palais) un nombre d’hommes d’État de haut rang et de sommités finan-