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Lumley poursuivit en second lieu sa tactique auprès de Templeton ; il arma la vanité du mari contre sa femme, en lui rappelant constamment les sacrifices qu’il avait faits par ce mariage, et en lui laissant l’assurance qu’il serait arrivé à la réalisation de ses vœux, s’il avait fait un choix plus prudent. À force de frotter habilement sur l’endroit malade, il finit, en quelque sorte par en fixer l’irritation dans le tempérament de Templeton, et cette irritation réagit sur toutes ses pensées ambitieuses ou domestiques. Pourtant, au grand étonnement et au grand courroux de Lumley, tout en se refroidissant à l’égard de sa femme, Templeton s’attachait tous les jours davantage à l’enfant. Lumley n’avait pas songé suffisamment à la soif d’affection qui existe dans presque tous les cœurs humains ; et Templeton, bien qu’il ne fût pas précisément un homme aimable, avait d’excellentes qualités. S’il s’était moins préoccupé de l’opinion du monde, il n’aurait ni contracté le jargon mystique de la fausse dévotion, ni soupiré après un titre ; son affectation de puritanisme et sa soif ardente des honneurs, provenaient d’une déférence excessive et exagérée pour l’opinion publique et d’un désir d’obtenir un rang et un respect qu’il ne se sentait pas en état d’acquérir par la seule force de son mérite. Mais, au fond, c’était un homme bien intentionné ; il était charitable envers les pauvres, il était bon pour ses domestiques, et il éprouvait ce besoin d’aimer et d’être aimé, ce ciment des âmes, ce principe d’harmonie qui rallie et confond les atomes de l’univers. Si mistress Templeton lui eût témoigné de l’affection, toute la diplomatie de Lumley Ferrers eût échoué contre lui ; il se serait consolé de la perte de quelques avantages mondains, fût devenu un bon mari, et même un mari fort épris. Mais évidemment, quoique ce fût une femme patiente, exemplaire et prévoyante, elle ne l’aimait pas, tandis que sa fille l’aimait véritablement, l’aimait autant qu’elle aimait sa mère, et cet homme ambitieux et sec n’aurait pas échangé contre un royaume cette petite source d’affection pure et consolante. Malgré sa sagesse et sa pénétration, Lumley ne put jamais bien comprendre cette faiblesse, ainsi qu’il l’appelait, car on ne connaît jamais entièrement les hommes, à moins d’avoir des sympathies complètes avec toutes les émotions naturelles à l’humanité, et la nature avait laissé quelque chose d’incomplet et d’inachevé dans son œuvre, quand elle avait fait Lumley Ferrers, en lui refusant la faculté d’aimer autre chose que lui-même.