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aplomb, sentait que son esprit subtil paraissait ordinaire et grossier à côté de celui de sa belle cousine, et cherchait involontairement à éviter, comme s’il en avait peur, les traits acérés de ses reparties prodiguées avec aisance. Car il y avait un fond d’ironie dans le caractère de Florence qui faisait que son esprit blessait plus souvent qu’il ne charmait. Instruite jusqu’à l’érudition, courageuse jusqu’à perdre quelque chose de sa grâce féminine, elle aimait à se faire un jeu de l’ignorance et de la prétention, même dans les plus hauts rangs ; et le rire qu’elle suscitait était comme le feu du ciel : nul ne pouvait deviner sur qui tomberait le prochain coup de tonnerre.

Mais Florence, quoique redoutée et peu aimée, était pourtant courtisée, adulée et fort en vogue. Pour cela, il y avait deux raisons ; premièrement c’était une coquette, et secondement c’était une héritière.

Les causeurs étaient donc partagés en deux groupes principaux, dont l’un était, pour ainsi dire, présidé par Maltravers, et l’autre par Florence. Au moment où le premier groupe se dispersait, Ernest fut accosté par Cleveland.

« Mon cher cousin, dit tout à coup Florence à voix basse, et en se tournant vers Ferrers, votre ami parle de moi, je le vois bien ! Allez, je vous en conjure, et rapportez-moi ce qu’il dit !

— Cette commission n’est guère flatteuse, dit Ferrers, d’un ton presque maussade.

— En vérité ! une commission qui doit satisfaire la curiosité d’une femme est toujours une des plus flatteuses ambassades qu’on puisse confier à un habile négociateur.

— Allons, il faut que j’obéisse à vos ordres, quoique je ne puisse y voir une faveur. »

Ferrers s’éloigna, et rejoignit Cleveland et Maltravers.

« Elle est véritablement bien belle ; je n’ai jamais vu de visage dont les contours soient si parfaits. C’est la seule que j’aie jamais rencontrée chez qui les traits aquilins me semblent plus classiques que ceux de la statuaire grecque elle-même.

— C’est donc là votre opinion de ma belle cousine ? s’écria Ferrers, vous voilà féru.

— Je le voudrais bien, dit Cleveland. Ernest est maintenant d’âge à s’établir, et il n’y a pas un parti plus brillant que lady Florence dans toute l’Angleterre ; elle est riche, noble, belle et instruite.