Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, monsieur, je suis bien malheureuse, » dit Alice en saisissant ces dernières paroles, et des larmes coulèrent silencieuses le long de ses joues. »

Maltravers n’avait jamais été plus touché. Quelles qu’eussent été les pensées de galanterie qui lui seraient venues en tête, s’il avait trouvé Alice telle qu’il pouvait raisonnablement s’y attendre, il sentait maintenant qu’il y avait quelque chose de sacré dans son ignorance. La reconnaissance et l’intérêt qu’elle lui inspirait lui firent éprouver pour elle un sentiment presque paternel.

— Vous savez, du moins, ce que c’est qu’une école ? lui demanda-t-il.

— Oui, j’ai causé quelquefois avec des filles qui allaient à l’école.

— Aimeriez-vous à y aller aussi ?

— Oh ! non, monsieur ! je vous en prie.

— Qu’aimeriez-vous à faire, alors ? Parlez, mon enfant. Je vous dois tant, que je serais charmé de vous rendre heureuse comme vous l’entendez.

— Je voudrais vivre auprès de vous, monsieur. »

Maltravers tressaillit, sourit à demi, et rougit. Mais il regarda les yeux de la jeune fille, qui étaient avidement fixés sur les siens ; il y avait tant de simplicité dans leur doux et caressant regard, qu’il vit aussitôt à quel point elle était ignorante du sens qu’on pouvait prêter à son naïf aveu.

J’ai déjà dit que Maltravers était un être fantasque, enthousiaste et étrange ; en effet, son esprit était tout rempli de romantisme allemand et de spéculations métaphysiques. À une époque, il s’était enfermé pendant plusieurs mois pour étudier l’astrologie, et on l’avait même soupçonné de se livrer sérieusement à la recherche de la pierre philosophale. À une autre époque, il avait risqué sa vie et sa liberté dans une folle conspiration des francs républicains de l’Université ; plus intrépide et plus insensé que les autres, il en avait été un des principaux meneurs. C’était, du reste, quelque folie de ce genre qui l’avait forcé de quitter l’Allemagne plus tôt que ni lui, ni ses parents, ne l’auraient voulu. Il n’avait rien du flegme anglais. Tout ce qui était excentrique ou bizarre avait un charme irrésistible pour lui. Par suite de cette disposition morale, il se présenta à son esprit une idée qui enchanta sa mobile et fantastique philosophie. Il voulait faire lui-même l’éducation de cette charmante fille ; il voulait tracer des caractères