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CHAPITRE VI.

…Le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux, que quoiqu’il semble que l’esprit ne doive toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit les yeux.
(Lettre de Mme de Sévigné.)

Chez lord Latimer se trouvaient rassemblées quelques centaines de ces personnes, qu’on voit rarement réunies dans la société de Londres ; car les affaires, la politique et la littérature absorbent presque tous les hommes éminents, et ne laissent guère aux maisons qui reçoivent que l’indolence titrée ou l’opulence fastueuse. Les jeunes hommes de plaisir eux-mêmes tournent le dos aujourd’hui aux soirées, et trouvent que la société est ennuyeuse comme la peste. Mais il y a pourtant environ une douzaine de maisons, dont les maîtres se tiennent à l’écart et au-dessous de la mode, et où les étrangers peuvent rencontrer, réunis sous le même toit, presque tous les hommes remarquables, de l’active, pensante et majestueuse Angleterre. Lord Latimer avait lui-même été ministre. Il s’était retiré des affaires publiques soi-disant à cause de sa mauvaise santé, mais en réalité parce que les inquiétudes et l’activité de la vie politique n’étaient pas sympathiques à un esprit doux et cultivé, un peu faible d’ailleurs. Grâce à sa haute réputation, et à un excellent cuisinier, il jouissait d’une grande popularité, non-seulement dans son parti, mais auprès du monde en général ; et il se trouvait le centre d’un cercle de connaissances restreintes, distinguées, qui buvaient le vin de Latimer, citaient les bons mots de Latimer, et aimaient Latimer d’autant mieux, que n’étant ni auteur ni ministre, il ne leur faisait point obstacle.

Lord Latimer reçut Maltravers avec une courtoisie, une déférence même très-marquée, et l’invita à s’asseoir à la table de whist, ce qui constituait l’hommage le plus délicat que pût offrir lord Latimer au mérite de Maltravers. Mais, dès que son commensal eut décliné cet honneur, le comte le repassa à la comtesse, le considérant çomme devenu la propriété des