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« Mon Dieu ! Ernest, comme vous avez l’air malade !

— J’ai été souffrant, mais maintenant je vais mieux. Les médecins recommandent aux patients ordinaires de changer d’air, et moi je vais essayer de changer d’habitudes. Il faut que je mène une vie active, l’activité est la première condition de mon existence ; mais je laisse de côté les livres pour le moment. Vous me voyez sous un nouvel aspect.

— Lequel ?

— Celui d’un homme politique ; je viens d’entrer au parlement.

— Vous m’étonnez ! J’ai lu les journaux ce matin. Je n’ai pas vu qu’il y eût un siége vacant, bien moins encore une élection.

— C’est mon notaire et mon banquier qui se sont chargés de toute l’affaire. En un mot, mon siége est un bourg clos.

— Sans l’ennui des électeurs. Je vous félicite. Vous me faites envie ; je voudrais bien être au parlement moi-même.

— Vous ! Je n’avais jamais cru que vous fussiez atteint de la manie politique.

— Politique ! non. Mais, avec un peu de chance, c’est la façon la plus recommandable de vivre aux dépens du public. Cela vaut mieux que l’escroquerie.

— C’est une manière ingénue d’envisager la chose. Mais je croyais qu’autrefois vous étiez presque benthamiste et que votre devise était « le plus grand bonheur du plus grand nombre ! »

— Le plus grand nombre à mes yeux c’est l’unité. Je suis de l’avis des pythagoriciens : l’unité est le principe parfait de la création. Sérieusement, comment pouvez-vous confondre les principes d’opinion avec les principes de conduite ? Comme logicien, je suis benthamiste et philanthrope ; mais du moment que je quitte mon cabinet pour rentrer dans le monde, je laisse de côté la philosophie aux autres, et j’agis pour moi-même.

— En tous cas vous êtes plus franc que prudent dans vos confessions.

— En cela vous vous trompez. C’est en affectant de valoir moins qu’on ne vaut réellement, que l’on devient populaire, et que l’on se fait passer pour un homme honnête et pratique. L’erreur de mon oncle, c’est d’être un hypocrite en paroles : c’est un moyen qui réussit rarement. Soyez franc en paroles, et personne ne soupçonnera que vous êtes hypocrite au fond. »

Maltravers regarda fixement Ferrers. Dans la facile sagesse de son vieil ami, il trouvait quelque chose qui répugnait et