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— Oh non !

— Mais je pense que, du moins, on vous a enseigné le catéchisme… Vous priez quelquefois ?

— J’ai souvent prié mon père de ne point me battre.

— Mais Dieu ?

— Dieu ! monsieur !… Qui est-ce[1] ? »

Maltravers se recula épouvanté. Malgré sa précoce philosophie, cette profonde ignorance confondait sa sagesse. Il avait vu toutes les disputes des théologiens au sujet de la connaissance innée d’un être suprême ; mais il ne lui était jamais arrivé de se trouver face à face avec une créature humaine qui ignorait complétement l’existence d’un Dieu.

Après un moment de silence, il dit :

« Ma pauvre fille, nous ne nous comprenons pas bien. Vous savez qu’il y a un Dieu ?

— Non, monsieur.

— Ne vous a-t on jamais dit par qui les étoiles que vous voyez là-haut, et la terre sur laquelle vous marchez, ont été créées ?

— Non.

— Et vous-même, n’y avez-vous jamais pensé ?

— Pourquoi faire ? Qu’est-ce que cela a de commun avec le froid et la faim ? »

Maltravers parut douter.

« Vous voyez ce grand bâtiment, là-bas, avec un clocher qui se découpe sur le ciel étoilé ?

— Oui, monsieur, bien sûr.

— Comment cela s’appelle-t-il ?

— Mais, c’est une église.

— N’y êtes-vous jamais entrée ?

— Non.

— Savez-vous ce qu’on y fait ?

— Mon père dit qu’il y a un homme qui y dit des bêtises, tandis que les autres l’écoutent.

— Votre père est un… n’importe. Mon Dieu ! que ferai-je de cette malheureuse enfant ?

  1. Cette ignorance, et, en somme, toute l’esquisse du caractère d’Alice, est dessinée d’après nature ; et il n’est pas rare, ainsi qu’en peuvent témoigner les rapports de notre police, que cette ignorance soit accompagnée d’un sentiment instinctif et intuitif du bien et du mal. Dans The Examiner année 1835, je crois, se trouve le cas d’une jeune fille maltraitée par son père, dont les réponses, à l’interrogatoire du magistrat, sont assez semblables à celles que fait Alice aux questions de Maltravers.