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trop poétique pour vous livrer à la monotonie d’une vie de savant. Je ne vous ai jamais vu, et pourtant je vous connais : je lis votre âme dans les pages que vous écrivez. Cette aspiration vers quelque chose de meilleur et de plus grand encore que ce qui est grand et bon, cette aspiration, dis-je, qui colore toutes vos révélations de vous-même et des autres, ne peut se satisfaire d’images purement idéales. Vous ne pouvez vous contenter, comme le font presque tous les poëtes et les historiens, de ne devenir illustre qu’en dépeignant de grands hommes, qu’en imaginant de grands événements, qu’en décrivant une grande époque. N’est-il pas plus digne de vous d’être ce que vous imaginez ou ce que vous racontez ? Réveillez-vous, Maltravers ! Regardez dans votre cœur, et sentez-y votre destinée. Et qui suis-je pour vous parler ainsi ? Une femme dont vous remplissez l’âme ; une femme chez qui votre éloquence a réveillé, au milieu d’un monde vain et frivole, le sentiment d’une vie nouvelle ; une femme qui voudrait faire de vous-même l’idéal incarné de vos pensées et de vos rêves, et qui ne demanderait pas autre chose sur terre que de vous suivre avec les yeux du cœur sur le chemin de la gloire. Ne vous méprenez pas sur mon compte ; je vous répète que je ne vous ai jamais vu, et je ne désire pas vous voir ; vous pourriez n’être pas ce que j’imagine : je perdrais mon idole et mon culte. Je suis une espèce de visionnaire Rose-Croix : c’est un esprit que j’adore, non un être semblable à moi. Vous vous imaginez peut-être que j’ai quelque motif pour agir comme je le fais ; non, en caressant votre vanité je n’ai aucun but particulier ; et si je vous juge bien, cette lettre est de nature à vous flatter sans vous faire rougir. Oh ! l’admiration qui ne jaillit pas des sources profondes et sacrées de l’émotion, combien elle nous attriste ! combien elle nous répugne ! J’ai eu ma part des hommages vulgaires, et je ne m’en suis sentie que doublement seule. Je suis plus riche que vous ; je suis jeune, j’ai ce qu’on est convenu d’appeler de la beauté. Et ni la richesse, ni la jeunesse, ni la beauté ne m’ont jamais donné le bonheur profond et silencieux que j’éprouve lorsque je pense à vous. C’est là un culte qui pourrait, je le répète, donner de la vanité, même à vous. Je vous conjure de méditer ces paroles. Soyez digne, non de mes pensées, mais de la forme qu’elles vous prêtent ; et chaque rayon de gloire qui vous environnera éclairera aussi ma route, et m’inspirera une émulation sympathique. Adieu ! Il se peut que je vous écrive