Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour échapper aux stériles émotions qui le déchiraient, il ramassa plusieurs lettres qui depuis quelques heures étaient restées sur sa table sans avoir été décachetées. Chacune de celles qu’il ouvrit semblait railler l’état où il se trouvait, en attestant la félicité de son sort. Quelques-unes témoignaient de la sympathie des grands et des savants ; l’une d’entre elles lui offrait une brillante carrière dans la vie politique ; une autre (celle-là venait de Cleveland) était remplie de l’approbation fière et ravie d’un prophète dont les augures se sont enfin vérifiés. Après avoir lu cette lettre, Maltravers poussa un profond soupir et s’arrêta quelques moments avant de continuer sa lecture. La dernière missive qu’il ouvrit était d’une écriture qu’il ne connaissait point, et ne portait pas de signature. Comme presque tous les auteurs de quelque réputation, Maltravers recevait souvent des lettres anonymes d’éloges, de critiques, d’avis, d’exhortations, venant la plupart de jeunes demoiselles en pension, ou de vieilles dames à la campagne ; mais, dès les premières phrases de celle qu’il ouvrait en ce moment d’une main distraite, son attention fut enchaînée. C’était une écriture fine, mais admirable ; cependant les caractères en étaient plus nets et plus hardis qu’ils ne le sont en général dans la calligraphie féminine.

Cette singulière effusion commençait ainsi :

« Ernest Maltravers, vous êtes-vous bien examiné ? savez-vous de quoi vous êtes capable ? sentez-vous que vous pourriez atteindre à une réputation plus brillante que celle qui paraît vous satisfaire en ce moment ? Vous qui semblez pénétrer dans les recoins les plus intimes du cœur humain, et avoir scruté la nature comme avec une loupe ; vous dont les pensées se dressent hardies et intrépides comme des légions enrôlées pour la défense de la vérité, sans une tache sur leur armure étincelante, devez-vous à votre âge, et avec les avantages que vous possédez, vous ensevelir au milieu des livres et des parchemins ? Oubliez-vous que l’action est la noble carrière des hommes qui pensent comme vous ? Cette étude de mots, cette composition de tableaux ; les froids éloges des pédants, les louanges insignifiantes des oisifs littéraires, suffiront-ils aux aspirations de votre ambition ? Vous n’avez pas été créé seulement pour la solitude de votre cabinet ; les rêves du Pinde et des filles de Mémoire ne peuvent se prolonger dans le midi de la vie. Vous êtes trop pratique pour n’être qu’un poëte : et