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d’une maîtresse adorée, la flatteuse louange de quelque grand arbitre des arts et des lettres, qu’attendait le jeune homme avec tant d’impatience ? Non ; le malade absorbait l’ambitieux. Ernest Maltravers attendait la visite de son médecin, qu’une pensée subite lui avait fait demander à cette heure avancée. Enfin il entendit frapper, et quelques instants après le médecin entra. C’était un homme qui connaissait à fond la pathologie particulière aux gens de cabinet, et il était bon aussi bien qu’habile.

« Mon cher monsieur Maltravers, qu’y a-t-il donc ? Comment allons-nous ? Nous ne sommes pas sérieusement malade, j’espère ? Pas de rechute ? Voyons : le pouls est faible et irrégulier, mais il n’y a pas de fièvre. Vous avez mal aux nerfs.

— Docteur, dit Maltravers, si je vous ai envoyé chercher à pareille heure, ce n’est pas par une crainte futile ou par un caprice inquiet de malade. Mais, lorsque je vous ai vu ce matin, vous avez laissé échapper quelques paroles qui m’ont poursuivi depuis. Il faut que je connaisse pleinement mon véritable état ; de cette connaissance dépendent beaucoup de choses dont l’âme et la conscience doivent se préoccuper sans retard. Si je vous ai bien compris, je n’ai peut-être que peu de temps à vivre ; est-il vrai ?

— Mais, vraiment, dit le docteur en détournant la tête, vous vous êtes exagéré le sens de mes paroles. Je n’ai pas dit que vous étiez en danger, selon l’expression technique.

— Est-il possible alors que je vive très-longtemps ? »

Le docteur toussa.

« C’est une chose incertaine, mon jeune ami, dit-il après un moment de silence.

— Parlez-moi franchement. Les projets que nous formons dans cette vie doivent être basés sur les calculs de sa durée probable, tels qu’il nous est raisonnablement permis de les faire. Ne croyez pas que je sois assez faible ou assez lâche pour trembler à la vue d’un abîme, dont je me suis approché sans le savoir ; je vous prie, je vous adjure, je vous ordonne même de vous expliquer clairement. »

Il y avait dans la voix et l’attitude du patient une dignité vraie et solennelle qui toucha profondément le bon docteur.

« Je vous répondrai franchement, dit-il ; vous épuisez, à force de travail, vos nerfs et votre cerveau : si vous ne vous reposez pas, vous vous exposerez à un mal chronique et à une mort prématurée. Il faudrait cesser tout travail littéraire pendant