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sédentaires, cette tension perpétuelle de l’esprit, cette soif dévorante de savoir qui, nuit et jour, tenait ses facultés en éveil, tout cela faisait d’étranges ravages dans un tempérament naturellement robuste. Les pauvres auteurs ! Bien peu de gens savent les comprendre, les plaindre, et leur montrer de l’indulgence. L’auteur vend sa santé et sa jeunesse à un maître sans pitié. Et vous voudriez, ô monde aveugle et égoïste, qu’il eût un abord aussi facile, une humeur aussi charmante, un caractère aussi égal que si c’était la chose du monde la plus agréable que de passer sa vie à polir les rides de son esprit, ou à inventer une médecine pour calmer les nerfs du corps ! Mais ce n’était pas tout, l’auteur aimé du public avait à lutter contre une autre cause de malaise. Son but était trop solitaire. Il était privé des doux liens de la famille. Les relations et les amitiés qu’il formait, le stimulaient pendant un moment, mais ne possédaient pas le charme qui calme et qui console. Cleveland habitait presque toujours la campagne ; d’ailleurs son tempérament beaucoup plus calme, et son âge bien plus avancé faisaient que, malgré toute l’amitié qui les unissait, il n’y avait pas entre eux cet échange de confiance journalier et intime, que réclament les natures affectueuses, comme l’aliment même de la vie. Ernest voyait peu son frère, comme le lecteur l’aura deviné, en s’apercevant que nous ne le lui avons pas officiellement présenté. Le colonel Maltravers, un des hommes les plus brillants et les plus beaux de son temps, avait épousé une grande dame, et habitait presque toujours Paris, sauf quelques semaines au moment de la chasse, pendant lesquelles il remplissait sa maison de campagne de compagnons de plaisir qui n’avaient aucun point de sympathie avec Ernest. Les deux frères s’écrivaient régulièrement à chaque trimestre, et se voyaient une fois l’an, c’était là tout le commerce qu’ils avaient ensemble. Ernest se trouvait donc seul au milieu du monde, face à face avec ce spectre froid et inquiet, la Célébrité.

Il était tard. Devant une table chargée des monuments de l’érudition et de la pensée, était assis un jeune homme au visage pâle et fatigué. L’horloge qui se trouvait dans la chambre indiquait avec une netteté désespérante, chaque moment qui diminuait la longueur de ce voyage dont la tombe est le terme. Sur la figure de l’homme d’étude, il y avait une expression d’inquiétude et d’attente, et de temps en temps il regardait la pendule et grommelait entre ses dents. Était-ce la lettre