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chacune de ses paroles, chacun de ses regards, et dessinait d’avance (car les plus mondains sont souvent les plus visionnaires), les plans d’une route royale conduisant à la fortune. Quant à Florence Lascelles, sitôt que la foule des invités se fut dispersée, et qu’elle se retrouva seule dans sa chambre, elle les oublia tous trois ; et, plongée dans cette tristesse romanesque, qui accable souvent ceux que la destinée a le plus favorisés, elle se mit à rêver à l’image idéale de l’homme qu’elle aurait pu aimer : rêverie de jeune fille où l’imagination joue un grand rôle.


CHAPITRE IV.

In mea vesanas habui dispendia vires,

Et valui pœnas fortis in ipse meas.

(Ovide.)
Si l’on pouvait lire dans mon cœur, on y trouverait mille volumes écrits.
(Le comte de Sterling.)

Ernest Maltravers était à l’apogée de sa célébrité ; l’ouvrage qu’il regardait lui-même comme l’épreuve décisive qui devait confirmer ou détruire sa réputation, avait eu un succès plus brillant que tous ceux qu’il avait publiés jusque-là. Il est certain que le hasard le servit aussi bien que le mérite, comme il arrive d’ordinaire pour les ouvrages qui ont une popularité instantanée. On peut longtemps, à tour de bras et de bon cœur, frapper la cassette à coup de marteau, sans résultat ; puis un beau matin, un coup égaré a touché le clou magique, et l’on se trouve maître du trésor.

Vers cette époque Ernest Maltravers, dans la vigueur de la jeunesse, riche, adulé, respecté, recherché, tomba sérieusement malade. Ce n’était pas une maladie active ou visible, mais une irritation générale des nerfs, une langueur, un affaiblissement de tout son être. Peut-être ses travaux commençaient-ils à le fatiguer. Dans sa première jeunesse il avait l’activité d’un chasseur de chamois, et le violent exercice qu’il donnait à son corps neutralisait les effets d’un esprit inquiet et ardent. Ce changement d’une vie d’athlète à des habitudes