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les anciens jours de la chevalerie, où les reines laissaient là les princes et les guerriers pour écouter un troubadour.

— Les troubadours sont plus rares de notre temps que les guerriers ou les princes, répondit Florence avec une vivacité pleine de gaieté, qui contrastait singulièrement avec la froideur qu’elle avait manifestée à l’égard du duc de***, et par conséquent, ce ne serait plus à présent un grand mérite chez une reine de fuir l’ennui et la monotonie, pour la poésie et l’esprit.

— Ah ! ne dites pas l’esprit, fit Cesarini ; l’esprit est incompatible avec le caractère sérieux des sentiments profonds ; incompatible avec l’enthousiasme et le culte ; incompatible avec les pensées que doit éveiller lady Florence Lascelles. »

Florence rougit, et ses sourcils se contractèrent légèrement ; mais l’immense distance qu’il y avait entre sa position et celle du jeune étranger, unie à son inexpérience de la vie réelle aussi bien que de la présomption des cœurs vaniteux, lui fit bientôt oublier une flatterie qui, venant d’un autre, l’aurait offensée. Cependant elle donna une direction différente à la conversation, et elle parla de la poésie italienne avec une chaleur et une éloquence dignes du sujet. Pendant qu’ils causaient tous deux ainsi, un nouvel invité venait d’arriver, qui, de la place où il se tenait en conversation avec lord Saxingham, fixait ses regards scrutateurs sur lady Florence et son interlocuteur.

« Lady Florence a énormément gagné, disait le nouveau venu. Je n’aurais jamais imaginé que l’Angleterre possédât une personne à beaucoup près aussi belle.

— Elle est certainement fort belle, mon cher Lumley ; c’est tout à fait la coupe de figure des Lascelles, répondit lord Saxingham, et puis elle est douée !… Elle est positivement savante : un vrai bas-bleu ! Je tremble de penser à la foule de poëtes et de peintres dont son enthousiasme va faire la fortune. Entre nous, Lumley, je voudrais la voir mariée à un homme de sens rassis, comme le duc de***, car le bon sens est précisément ce qui lui manque. Remarquez bien que, depuis une demi-heure, elle se laisse faire la cour par cet aventurier de tournure excentrique, un certain signor Cesarini, tout bonnement parce qu’il compose des sonnets, et qu’il s’habille comme un saltimbanque !

— C’est une des faiblesses de son sexe, mon cher lord, dit Lumley ; les femmes aiment à protéger, et elles adorent toutes