Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propos, Lumley : je lis les prières à neuf heures. « N’oubliez jamais votre Créateur, et il ne vous oubliera pas… » Cette baronie sera une excellente chose, n’est-ce pas ? Pair d’Angleterre, oui… pair d’Angleterre ! C’est bien autre chose que tous vos misérables titres de comte à l’étranger ! »

Ce disant, M. Templeton fit demander son chapeau et sa canne, et sortit dans le jardin par la porte vitrée de la salle à manger.

« Le monde est mon huître : je veux l’ouvrir avec un sabre, » grommela Ferrers. Il me faut plier ce vieil égoïste à mes des seins ; car, puisque je n’ai pas assez de génie pour écrire, ni assez d’éloquence pour déclamer, je veux voir du moins si je n’ai pas assez d’adresse pour intriguer et de courage pour agir. Manœuvrer, manœuvrer, manœuvrer, voilà tout mon talent ! et qu’est-ce qu’une manœuvre, sinon la ligne droite qui mène du projet à l’exécution ? »

Tout en réfléchissant de la sorte, Ferrers se rendit auprès de mistress Templeton. Il ouvrit le battant de la porte très-doucement par précaution, car tous ses mouvements habituels étaient rapides et peu bruyants ; il aperçut sa tante assise à côté de la fenêtre, apparemment absorbée dans la lecture d’un livre qui était ouvert sur une petite table à ouvrage devant elle.

« Sans doute les conseils de Fordyce aux jeunes femmes mariées, je suppose. La fine matoise ! Mais, attention ! il ne faut pas que je m’en fasse une ennemie. »

Il s’approcha ; mistress Templeton ne l’observait toujours pas, et lui-même ne remarqua que lorsqu’il se trouva vis-à-vis d’elle les larmes qui inondaient son visage et tombaient sur son livre.

Il éprouva quelque embarras, et se tournant vers la fenêtre, il affecta de tousser ; puis il dit, sans regarder mistress Templeton :

« Je crains de vous avoir dérangée.

— Non, répondit la même voix basse et étouffée qui avait déjà répondu aux vains efforts de Lumley pour entrer en conversation ; non, je me livrais à une occupation mélancolique, et peut-être ai-je tort.

— Puis-je vous demander quel est l’auteur qui vous causait tant d’émotion ?

— Ce n’est qu’un volume de poésies, et je n’entends rien à la poésie ; mais il renferme des pensées qui… qui… »

Mistress Templeton s’arrêta subitement, et Lumley prit tranquillement le volume sur la table.